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Avignon : la « nuit » éparpillée de Monteiro Freitas

par Jacques Moulins
"NÔT", les Milles et une nuits de Marlene Monteiro freitas en ouverture du 79e festival d'Avignon © Raynaud de Lage
Arts vivants Danse Publié le 07/07/2025
Une chorégraphie en ouverture du festival d’Avignon. Avec NÔT, la capverdienne Marlene Monteiro-Freitas a tenté de relever le défi de la Cour d’honneur autour des Mille et une nuits. Un défi trop grand.

Un corps qui danse avec des gestes saccadés, un peu cassés, façon automate. Ou plutôt comme un personnage de film muet, plein d’énergie. Le visage marqué de grimaces qui se répètent inlassablement : les yeux s’écarquillent, la bouche s’ouvre en un grand sourire, la langue sort et s’agite nerveusement. Puis des mouvements groupés d’où les langages des danses traditionnelles africaines ne sont pas absents. Ajoutez à cela un dynamisme fabuleux, une tendance à faire rire et à provoquer sur des thèmes qui font notre archaïsme d’humains civilisés, la mort, le sexe, les positions scatologiques. Tout cela, c’est le vocabulaire chorégraphique de Marlene Monteiro-Freitas qu’elle a elle-même dansé dans des pièces inoubliables, de Jaguar à Bacantes en passant par Canine Jaunâtre. L’interaction avec le public est nécessaire, elle fonctionne dans les salles où se produisent d’habitude les représentations de la chorégraphe capverdienne. Son art reconnu lui a valu un Lion d’argent à la Biennale de Venise en 2018 et des invitations dans les lieux les plus prestigieux de la danse contemporaine.

 

Le grand défi de la Cour d’honneur. C’est à cette Lisboète d’adoption que l’ancien directeur du Théâtre Dona Maria II de Lisbonne, Tiago Rodrigues, aujourd’hui directeur du Festival d’Avignon, a confié l’ouverture de la 79e édition, le 5 juillet, dans la Cour d’honneur. De la danse là où le public attend d’habitude la plus médiatisée des créations théâtrales de l’année. Ce n’est pas la seule difficulté qu’a eu à affronter Marlene Monteiro Freitas. Avec son plateau long de 38 mètres sur lequel 2 000 regards sont fixés et ses parois de murailles gothiques qui en ont impressionné plus d’un, la Cour d’honneur a connu succès et défaites. Le défi est grand. Trop grand ?

La langue invitée cette année étant l’arabe, la chorégraphe a choisi de travailler sur les Mille et une nuits, et précisément sur l’art de survivre qui est la motivation permanente de Schéhérazade menacée de mort chaque nuit par le sultan, son maître. Elle s’en sort en narrant une histoire captivante dont la fin est repoussée à la nuit suivante, où une autre histoire tout aussi captivante prendra le relai. Maintes fois mis en scène, les contes qui mêlent cultures perse, indienne et arabe ne sont jamais présentés dans leur ensemble, un ensemble d’ailleurs introuvable. La chorégraphe a elle choisi le thème de la nuit (Nôt en capverdien).

 

Un spectacle éparpillé. Dans ce cadre exceptionnel, la tension dramaturgique ne peut se dissiper comme un jet de fumée. Il faut des arguments forts. La chorégraphe n’en manque pas. Comme le dit d’elle un de ses danseurs, c’est « une explosion de créations ». Son comique de situation, nourri des traditions carnavalesques, fait réagir le public. Les transgressions pimentent ses créations. Les fortes percussions rythment le mouvement des huit danseurs. Mariana Tembe, artiste sans jambes qui interprète Schéhérazade, sait captiver comme sa consœur Marie Albert, du Ballet de l’opéra de Lyon, ou Joaozinho da Costa qui ouvre le spectacle en tee-shirt noir et jupe plissée blanche par une danse imprégnée des défilés de carnaval capverdiens. Mais l’œil du spectateur se perd d’un point à l’autre du plateau, l’attention se fatigue aux trop multiples répétitions qui scandent la chorégraphie. Et le danseur qui, micro à la main, égrène les « There is… » comme un résumé des Mille et une nuits, ne parvient pas non plus à redonner unité à un spectacle éparpillé.

 

Un public désorienté. Des spectateurs plutôt âgés ont très vite quitté la salle, peu habitués aux provocations scatologiques d’un danseur gravissant les gradins, le ventre gargouillant d’une irrépressible diarrhée imaginaire qu’il s’empresse d’avaler avant d’offrir ce plat raffiné au public. Ils ont été suivis par de plus jeunes qui commençaient à trouver la gestuelle trop répétitive, les scènes trop signifiantes ou trop insignifiantes. On attendait un moment fort, il n’est pas venu. Et l’on a bien senti que, parmi les applaudissements de la fin, nombreux étaient ceux qui voulaient plus afficher leur soutien à la difficile création artistique et aux professionnalismes indiscutables des danseuses et danseurs que faire éclater le plaisir qu’ils avaient eu du spectacle.

 

NÔT de Marlene Monteiro Freitas. Création Festival d'Avignon du 5 au 11 juillet. Avec Marie Albert, Joaozinho da Costa, Miguel Filipe, Ben Green, Henri « Cookie » Lesguillier, Tomas Moital, Rui Paixao, Mariana Tembe.

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