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La Fondation MRO d’Arles et ses « Sortilèges »

par Véronique Giraud
Sortilèges à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz ©Rivaud-NAJA
Sortilèges à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz ©Rivaud-NAJA
Le travail de Ann-Christine Whoel réalisé parmi les femmes considérées comme sorcières et exilées au nord du Ghana est présenté à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz. © Rivaud-NAJA
Le travail de Ann-Christine Whoel réalisé parmi les femmes considérées comme sorcières et exilées au nord du Ghana est présenté à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz. © Rivaud-NAJA
Arts visuels Photographie Publié le 22/07/2025
Découverte de la fondation Manuel Rivera-Ortiz avec son directeur Florent Basiletti, également directeur artistique de l’exposition "Sortilèges", installée dans l’Hôtel Blain jusqu’au 5 octobre, dans le cadre des Rencontres d’Arles 2025.

Dans la torpeur de l’été arlésien, l’affiche Sortilèges attire le regard sur le mur de la Fondation Manuel Rivera-Ortiz. Installée depuis dix ans au 18 rue de la Calade, dans l’ancien hôtel particulier de la famille Blain, la fondation du photographe portoricain a pour vocation d’apporter un regard sur la photographie documentaire. Avec l’arrivée de Florent Basiletti à sa direction, la fondation ouvre la pratique documentaire aux nouvelles pratiques de l’image. La programmation estivale propose une variété d’artistes, avec une thématique forte. Après Écosystème, puis Dress Code, qui se penchait sur la relation entre identité et vêtement, Grow up, focus sur notre relation aux plantes, L’engagement l’an dernier, en 2025, l’exposition collective Sortilèges questionne la spiritualité dans différentes cultures. De Taïwan au Ghana, du Brésil au Portugal et à la Suède, l’objet est de montrer « la spiritualité des sortilèges et les histoires des sorcières, des histoires racontées, d’autres qui sont vécues », explique le directeur artistique. Une spiritualité qui a été mise de côté dans la culture française. C’est étrange ». Dans le charmant patio, dont les cimaises accueillent le pèlerinage des gitans aux Saintes-Maries de la Mer, les visiteurs peuvent se relaxer dans des transats. Le deuxième étage accueille l'exposition collective Fotohaus, qui introduit dans les Rencontres d’Arles la scène photographique franco-allemande. L’événement, dont le thème est cette année, Kontroverse & Paradoxe Ou comment réenchanter le monde, amplifie le programme de l’exposition par un traitement original de la croyance.

 

Le besoin de faire regarder autrement. Quand on lui demande comment résonne Sortilèges dans la photographie contemporaine, Florent Basiletti répond : « J’ai l’impression que les artistes d’aujourd’hui reviennent sur une spiritualité, je pense qu’on va en voir de plus en plus. Il y a un besoin de questionner autre chose, de faire regarder autrement. Après l’époque chrétienne, on ne parle plus de religion, on parle d’énergie. Je trouve que c’est le bon moment avec aussi la place des femmes. Elle résonne dans la programmation avec les sorcières condamnées, c’est un cercle vicieux ». La peine de mort est encore très forte, elle est montrée ici avec le travail d’Ann-Christine Woehrl (1975, Allemagne) sur des femmes soi-disant sorcières, expulsées de leurs familles et de leurs communautés, exilées dans le nord du Ghana. Un mur de leurs portraits en couleur sur fond noir est complété par des vidéos de leurs témoignages. « C’est une actualité trop peu connue » commente Florent Basiletti. La série de Maja Daniels (1985, Suède), Gertrud on the silence of myth, revient sur un événement de 1667, en Suède, quand une jeune fille de 12 ans fut accusée de marcher sur l’eau à Älvdalen. Déclenchant une vague de chasse aux sorcières, période d’hystérie collective et de persécutions.

 

Mémoire photographique de Taïwan. Pour la plupart issues des reportages du média taïwanais The Reporter consacrés au mouvement de rectification des noms, à la préservation culturelle et à la lutte pour les droits fonciers des peuples autochtones, les images de la section La mémoire illustrent le lien entre les peuples autochtones de Taiwan et leurs ancêtres, leurs territoires et leurs cultures. Ces photographies sont complétées par la projection de la première saison de la série documentaire Taiwan Tribe Treasures, produite par le ministère taïwanais des Peuples autochtones et Discovery Channel, ainsi que celle du court-métrage Tayal Forest Club (Club forestier atayal) réalisé par Laha Mebow, dans lequel images poétiques et récits mythologiques illustrent la reconstruction et la réinterprétation de la mémoire culturelle autochtone.

Les visiteurs de la fondation, venant de multiples pays, ont des perceptions très différentes des travaux exposés. « C’est très intéressant. Je ne veux jamais donner des réponses à une thématique, je veux interloquer, que les personnes regardent et se questionnent. Que les visiteurs cherchent, comme un photographe cherche. Nous programmons une vingtaine d’artistes, l’exposition demande de passer du temps devant les images, les interviews, les films ».

 

Une fondation dans son territoire. Le festival international Les Rencontres est un moment fort de la fondation arlésienne, mais désormais la Fondation MRO est le rendez-vous de trois autres grands moments au cours de l'année. Ses espaces accueillent en début d'année les travaux des diplômés de l’école nationale de la photographie pendant trois semaines et, depuis deux ans, la MRO est associée à Frédérick Pajak, cocréateur du Festival du dessin organisé en mai. « En hiver, explique Florent Basiletti, les artistes ont plus d’espace, pour une programmation qui résonne avec le territoire, et des travaux parfois conçus en collaboration avec des chercheurs ».

 

La Kabine, pour accompagner les artistes. Outre ses fonctions à la MRO, Florent Basiletti codirige, avec Juliette Larochette, l’association La Kabine. C’est la deuxième édition de cet événement qui s’inscrit dans le OFF des Rencontres. « La Kabine accueille quatre artistes en résidence cette année, et tout est en lien : les résidences de La Kabine, l’accompagnement de la fondation qui est aussi lieu d’hébergement, et les expositions dans le OFF ».

MRO, fondation d’un artiste, ne bénéficie d’aucune subvention. Pour son fonctionnement, Florent Basiletti développe des partenariats. Ainsi, avec son partenaire le Centre culturel de Taïwan, une relation a été mise en place avec The Reporter, un média très important qui a permis de sélectionner plusieurs des histoires que la rédaction raconte pour proposer une exposition. Fujifilm est un autre partenaire.

 

L'image au Domaine du Possible. Florent Basiletti a depuis 2024 une troisième casquette, celle d’enseignant dans l’école du Domaine du possible que Françoise Nyssen a créée en 2015. Installée à Arles dans un domaine en agriculture biologique, cette école alternative propose une pédagogie active basée sur la coopération, « où la dimension culturelle est très forte. Cette année, j’ai mis en place un artiste péruvien qui avait été exposé dans le cadre de notre exposition Grow Up ». Il est accompagné avec La Kabine pendant un an en résidence, et son atelier, installé dans un lieu abandonné (l’ancien magasin Le Printemps), peut être visité dans le cadre du OFF. « Pendant six semaines, cet artiste a logé dans l’école, et il s’est immergé avec les enfants. On  analyse souvent l’impact d’une activité artistique et culturelle sur les enfants, mais pas sur les artistes. J’ai envie de mener cette recherche avec le Domaine du possible et La Kabine, en questionnant cette relation et ce que les enfants apportent aux artistes ». Des étudiantes de l’école d’architecture de Marseille sont venues vivre pendant une semaine au sein de l’école. Leur questionnement portait sur la notion du refuge en Camargue, dans un monde qui évolue avec le réchauffement climatique, et se sont demandé si l’école pouvait être un refuge potentiel. « Les réponses des enfants sur leur notion du refuge les ont ramenées à concevoir quelque chose de très basique. L’enfant transmet énormément. Je suis persuadé que les enfants ne peuvent pas comprendre la photographie s’ils ne voient pas au moins une fois l’argentique, la révélation de l’image par la lumière. Tout se nourrit ».

 

Rentrée en images. En septembre la fondation participe à la Rentrée en images avec des animations d’ateliers pour les écoles, collèges, lycées, enseignement supérieur. L’idée est de décrypter le programme en initiant une pédagogie de l’interprétation de l’image, de l’histoire qu’elle raconte et du regard photographique qu’elle sous-tend.

Le chemin que prend la Fondation Manuel Rivera-Ortiz suit de très près les évolutions de l'image documentaire et de ses nouveaux concepteurs en déclenchant l'étonnement et l'interrogation devant des sujets de société inhabituels. Après avoir parcouru les différents niveaux du bel hôtel particulier, on réalise la diversité des points de vue d'auteurs qui ont en commun de mener un travail de longue haleine pour que notre regard puisse s'arrêter et se poser sur des problématiques ignorées ou réactiver des sensations enfouies. Notre rapport à l'image est plus complexe qu'on le laisse souvent entendre, il peut être aussi plus partagé. Le travail mené à Arles par la MRO et La Kabine y contribuent grandement.

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