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À Sète, plongée dans la mémoire intime de Philippe Cognée

par Véronique Giraud
Arts visuels Arts plastiques Publié le 20/08/2025
Dans la torpeur caniculaire, le musée Paul Valéry de Sète est devenu un havre de fraicheur et de beauté. Le parcours d’œuvres de l’artiste Philippe Cognée, qui en est l’invité jusqu’au 2 novembre, y est pour beaucoup.

L’exposition rétrospective, imaginée par le directeur du musée sétois Stéphane Tarroux, englobe cinquante années de production de Philippe Cognée, des années 80 à nos jours et, sans être exhaustive, fait percevoir la maturation, les jaillissements, la maîtrise d’une technique personnelle, l’engagement vers des thèmes (les abattoirs, les quartiers) conduisant à la réalisation de grandes séries. Le parcours, très justement mené et scénographié, suit avec une grande clarté la quête mystérieuse d’une écriture picturale qui inscrit une mémoire intime dans un récit universel et conduit au plaisir de la contemplation. En premier lieu, quelques éléments biographiques, imprégnés des douze années vécues en Afrique par l’artiste entre cinq et seize, suivis d’instants en famille sur la plage, introduisent le chemin menant à une sorte d’accomplissement lié à l’invention d’une écriture par l’appropriation d’une technique : la peinture à l’encaustique. Des tables dressées, souvenirs de repas familiaux ou avec des amis, des lits défaits, des bâtiments remarquables, s’étirent et se noient alors sous l’effet d’un fer à repasser avançant sur un film plastique qui recouvre des photographies. Pris par l’artiste ou par un familier, ces clichés, agrandis ou recadrés, sont devenus la page blanche de Philippe Cognée. Ces paysages, ces autoportraits, ou ces moments de vie passés, que sa rétine a immortalisés sur papier photographique, son pinceau va les souligner de peinture, son fer à repasser en diluera les teintes et les déformera avec l’encaustique, dans un processus d’effacement et d’étirement des formes. Apparaissent alors des effets picturaux, des mouvements singuliers qui, malgré cette intervention, laissent deviner le sujet tout en lui conférant une abstraction onirique, une luminosité et une brillance chatoyantes. Le regard passe malgré lui de l’avant à l’après, et inversement.

 

De très grandes séries ponctuent le parcours. Celle réalisée à partir des images d’écorchés captées dans des abattoirs occupent les quatre murs d’une salle où les roses et rouges contrastent avec le blanc. Couvrant le mur d'une autre salle, la série des architectures, photos prises entre et dans les environs de Nantes, où l'artiste vit toujours, est réalisée en noir et blanc sur papier avec une technique singulière. Les noirs sont obtenus par l’écrasement de morceaux de fusain sur un lit épais de blanc acrylique. Une familiarité avec les peintures de Gerhard Richter et Francis Bacon, tient de l’évidence, dans le procédé d’abstraction pour le premier, la palette chromatique pour le second.

À la gracieuse fragilité d’une fleur Philippe Cognée a donné, tel un démiurge, une puissance qui crève trois grandes toiles. D’une architecture ingénieuse, l’artiste a noyé les étages dans une nuée évocatrice des effacements du souvenir. Reteintant la réalité, jusqu’à une abstraction suggestive. Le rapport au réel s’impose en effet au premier regard, avant que l’œil se noie dans des teintes cotonneuses qui estompent les formes, créent de nouveaux contrastes, inventent des échappées aériennes, ou au contraire figent en brûlot par l’écrasement du fusain. Effacement et révélation alternent en un cheminement mystérieux.

 

Les nombreuses œuvres qui composent L’œuvre du temps, titre donné à l’exposition et résumant le parti pris de son commissariat, sont complétées par un film réalisé dans l’atelier de Philippe Cognée. On voit l’artiste appliquer sa technique picturale, on l’entend revenir sur les origines d’un processus esthétique qui le distingue des autres artistes. Il explique combien, alors qu’il étudie aux beaux-arts de Nantes après avoir vécu de l’âge de quatre à seize ans avec ses parents au Bénin, sa découverte de l’art de Jasper Johns est fondatrice. Ses propos éclairent son rapport avec « la réalité première », avec le sujet comme « objet neutre qui peut supporter la peinture ». Plus loin, on découvre son rapport aux textes d’auteurs avec lesquels il collabore pour réaliser dessins et aquarelles qui prendront place dans des livres. Grand lecteur, ces livres coréalisés déploient une autre facette de ce talent. Le trait est précis, la tache de couleur est sûre. L’élégance et la délicatesse s’y dévoilent sans fard.

La richesse de l’exposition fait approcher la métamorphose dont est capable un artiste sur un environnement familier, banal, et le Lever de lune, ultime œuvre du parcours, réalisée au printemps 2025, étonne une nouvelle fois. Faisant passer le visiteur de l'ampleur d'une matière qui a pénétré ses rétines, qu’elle soit peinture colorée ou fusain calciné, à la vision d’une toile presque nue, ciel sur lequel le pinceau a composé la pâleur de l’astre lointain soulignée en bas de tableau par la noire peinture de la mer.

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