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Mot de passe oublié ?Pour Tamara Stepanian, connue pour ses documentaires, la fiction prend la forme d’un voyage, à la fois intérieur et extérieur, d’une femme dont le mari arménien vient de mourir et qui, pour un motif administratif, part dans un pays dont elle ne sait rien, et qu’elle va tenter de connaître en défiant de nombreux obstacles. En premier lieu c’est le reflet du visage d'Arto dans la vitre du train qui emmène Céline (incarnée par Camille Cottin) vers Gumri, sa ville natale. À plusieurs reprises, sollicité par le regard ou le souvenir de Céline, Arto apparaît, puis disparaît. Céline le cherche à travers toutes les personnes qu’elle rencontre, femmes, hommes, combattants, son fantôme est partout. « Je voulais qu’Arto soit un fantôme bien présent, qui vit dans un monde parallèle et dialogue avec sa femme Céline par le regard. C’est un personnage, un mort vivant » explique la réalisatrice.
Raconter l'Arménie, un pari difficile. Céline est un peu la conscience du spectateur éloigné de l’Arménie, de sa complexité, de ses interrogations, de ses problématiques, de ses secrets. Le film l’éclaire pas le passé, il le suggère par la force des personnages qui apparaissent au fil de road movie. « Des films peuvent rester une énigme, pourquoi pas ? Peut-être qu’un jour quelque chose adviendra et le rendra plus clair. » précise Tamara. Naviguant entre mythe et réalité, entre mensonge et vérité, le film laisse le champ libre aux interprétations les plus diverses. Le voyage traverse le Haut-Karabagh qui, devenu l’Azerbaïdjan, n’est pas le lieu de tournage.
« Raconter l’Arménie est difficile, raconter certains actes, transmettre tout cela à ses enfants ». Ce besoin de transmission d’une mémoire arménienne, porté par le personnage de Céline, est éclairé par Arsine la combattante, qu’incarne magnifiquement Zar Amir Ebrahimi. Ce personnage féminin, qui représente la protection de la patrie, de la famille, le combat, guide l’épouse démunie, ne comprenant pas la langue, vers les lieux et les gens qui l’aideront, ou non, à lever le voile sur les silences d’Arto.
Gumri. Tamara Stepanian est née en Arménie, l’a quitté à 2 ans, mais elle y retourne souvent. « L’Arménie c’est très beau, les églises, les paysages, mais je ne voulais pas tomber dans la carte postale ». La réalisatrice a voulu, par exemple, tourner à Gumri, rasée en 1988 par un tremblement de terre, et où ses souvenirs sont forts. « J’avais six ans, et mon père metteur en scène est parti avec d’autres acteurs à Gumri pendant presque deux ans pour faire des pièces de théâtre, travailler avec les enfants orphelins et leurs traumas. Ma mère, mon frère et moi sommes allés à Gumri accompagner mon père. Cette ville m’a marqué. » Arto vient de cette ville qui a vécu la catastrophe. Son paysage, ses ruines « racontent des choses, nous chuchotent des histoires ». Pour lui donner sa dimension, accompagner la narration en montrant la grandeur et la beauté du paysage, Claire Mathon, responsable de l’image du film, a tourné en anamorphique. À Gumri, le personnage de Rob interpelle et fascine. Il est interprété par Denis Lavant, qui en une journée de répétition et un jour de tournage, réalise une performance magistrale. Portant le keffieh palestinien, vivant seul et gardant ses vaches à Gumri, Rob parle toutes les langues, arabe, allemand, russe, arménien, français. La dimension mythique du personnage ajoute richesse et mystère que le comédien a surdimensionné de son talent. « Denis Lavant adore faire de la musique, explique Tamara, il ramasse beaucoup de cailloux avec lesquels il fait de la musique. Je l’ai emmené au marché d’Erevan où il a acheté un doudouk, la flûte symbolique de la musique arménienne. Le jour de la répétition, il propose de jouer de la musique. Ce n’était pas prévu mais je l’écoute. Il n’avait jamais joué de doudouk, c’était extraordinaire. On le voit dans le film. »
Si ce long métrage conserve bien des énigmes, comme l'a fait Arto après avoir quitté l'Arménie, les personnages de cette Arménie de Tamara Stepanian inspirent une force et une résilience hors du commun.
Sortie en France : le 31 décembre 2025.
Soixante techniciens arméniens, environ quarante acteurs et actrices arméniens et arméniennes ont participé au film de la réalisatrice franco-libano-arménienne. Autant dire que Le pays d'Arto est très attendu en Arménie où peu de films de fiction sont tournés, les documentaires sont plus fréquents. La première en Arménie aura lieu en juillet 2026 pendant le Golden Apricot (festival international du film d’Erevan).