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« Taste of Cement », Ziad Kalthoum dénonce les silences de la reconstruction à Beyrouth

par Véronique Giraud
Taste of Ciment, long métrage documentaire de Ziad Kalthoum. DR
Taste of Ciment, long métrage documentaire de Ziad Kalthoum. DR
Cinéma Documentaire Publié le 23/10/2025
Le long métrage documentaire de Ziad Kalthoum, "Taste of Cement", est projeté dans le cadre du focus du jeune cinéma syrien organisé par le festival Cinemed et le collectif Al Ayoun. Rompant le silence et l'indifférence générale, ses images magnifiques renvoient l'inhumanité des conditions de d'ouvriers syriens bâtisseurs d'un building à Beyrouth.

L’idée de Taste of Cement est née de l’indignation du réalisateur Ziad Kalthoum lorsqu’il découvre les conditions de travail sordides de jeunes Syriens chargés de reconstruire Beyrouth, et surtout l’inaction générale pour les sortir de là. Ils sont filmés alors qu’ils grimpent dans une cage qui les montent jusqu’à l’étage d’une gigantesque tour. Sans harnais de sécurité, sans casque réglementaire, les mains nues, ils travaillent toute la journée avec leurs propres chaussures. Le soir, on les voit descendre un escalier menant au sous-sol de cette même tour. Loin des regards, des attentions, sans aucun confort, chacun a aménagé une couverture à même le béton, tentant de s’isoler un peu. Leur seul lien social est celui des vidéos et des images des combats que leur renvoient leurs portables, un lien qui les ramènent inexorablement à la guerre qu’ils ont fui et à leurs propres maisons bombardées.

 

La caméra semble invisible, elle prend ses distances, aucun regard ne se dirige vers elle, personne ne parle. Les seuls mots prononcés sont diffusés en off par la vois d'un narrateur qui évoque les souvenirs de son enfance ponctuée par les retours de son père travaillant loin et dont les mains ont l'odeur du ciment. Le silence et l’obscurité sans ouverture du sous-sol inondé contrastent avec le bruit des machines et le panorama époustouflant des plages de Beyrouth où ces hommes ne vont jamais. Le ciel est d’azur, les voitures circulent, les gens se promènent, mais eux ne profiteront jamais de cette vie, condamnés qu’ils sont à ne pas quitter leur labeur. D’ailleurs une immense banderole accrochée dans une rue prévient : « La présence des Syriens est interdite au-delà de 19h ».

Comme en contre point, les images de Ziad Khaktoum sont d'une grande beauté et les cadres soignés. le réalisateur, qui compare les va et vient de ces ouvriers de Beyrouth au mouvement d’un hamster jouant avec la roue de sa cage, reprend l’idée en fixant sa caméra à la bétonnière d’un camion. Les images suivent alors le tournoiement de la fabrication du béton circulant la capitale libanaise. Au sous-sol, l’eau stagnante donne lieu à un plan magnifique d'un ouvrier montant l'escalier vers le soleil dont l'image se reflète dans une grande flaque. La montée et le reflet de la descente est une métaphore poignante du déplacement infernal de ces travailleurs. La caméra fixe l’exacte symétrie de la montée vers les cieux et de la descente aux enfers d’hommes rendus esclaves de la construction que suit inexorablement, dans les pays en conflits, la destruction. Les mêmes hommes, les mêmes populations, construisent ce que d’autres détruisent. Bouleversant !

 

Ziad Kalthoum est né à Homs en 1981. Diplômé en cinéma, il a été assistant réalisateur sur plusieurs films, séries et émissions télévisées dont Une échelle pour Damas de Mohamed Malas (2013). Il réalise son premier documentaire Oh My Heart en 2009, dans lequel il suit un groupe de femmes kurdes ayant choisi de vivre dans une société sans hommes. Le film a été censuré en Syrie pour des raisons politiques. En 2011, il réalise le documentaire Aydil, notamment sélectionné aux Journées Cinématographiques de Carthage.

En 2012, alors que la révolution syrienne éclate, il commence à travailler sur son premier long métrage Le Sergent immortel tout en faisant son service militaire au sein de l’armée du régime. Ce documentaire, programmé au Festival de Locarno en 2014 et au Festival de Fribourg en 2015, remporte le prix du Meilleur Documentaire du Festival du Film arabe de la BBC. Refusant de combattre son propre peuple, Ziad Kalthoum déserte l’armée syrienne en 2013 et se réfugie à Beyrouth où il réalise Taste of Cement (2018), qui remporte le Grand Prix à Visions du Réel. (source Film Documentaire).

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