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Mot de passe oublié ?Rue Málaga raconte l’histoire du quartier espagnol de Tanger, où beaucoup ont immigré sous la dictature de Franco. Certains y sont restés, c'est le cas de la mère et de la grand-mère de la réalisatrice Maryam Touzani, qui a écrit ce film en leur honneur. Il s’agit d’un film personnel, intime, qu’elle a entrepris après avoir perdu sa mère il y a deux ans, et qui l'a aidé à « affronter son absence, à traverser cette douleur » disait-elle lors de la première française du film au festival Montpelliérain Cinemed, après qu'il ait été présenté à la Mostra de Venise et au Festival de Toronto. Comme pour la plupart de ses films, Maryam Touzani a pris pour co-scénariste son mari, Nabil Ayouch, ajoutant à la dimension personnelle du projet. Leur fils était par ailleurs présent lors de la projection au Cinemed, et avait invité sa professeure préférée, aujourd’hui à la retraite.
Le film se centre autour de Maria Angeles (Carmen Maura), résidente de la rue Málaga, qui mène une vie heureuse jusqu’à ce que sa fille Clara (Marta Etura), vivant désormais à Madrid, vienne lui rendre visite dans le seul but de lui annoncer qu’elle souhaite vendre l’appartement familial. La vie rythmée par les habitudes de la septuagénaire se retrouve alors chamboulée, coincée entre le devoir d’aider son enfant et le désir de continuer à vivre.
Un film personnel et familial. Rue Málaga est le premier film que Maryam Touzani a tourné en espagnol, langue qu’elle parlait avec sa mère. Elle sentait « ce besoin de continuer le dialogue avec elle », par la langue mais aussi la cuisine, une activité qu’elles aimaient partager. « C’est un peu un voyage dans ce souvenir aussi » dit-elle. Née à Tanger et ayant grandi dans ce quartier, la réalisatrice ne se sentait pas d’y retourner sans sa mère. Ce film lui a offert l’occasion de le faire, d'y mettre les sons, les images et l’ambiance qu’elle connait si bien.
Cette communauté rétrécit d’année en année. Les plus anciens habitants se battant pour y rester après que leurs enfants soient partis faire des études à l’étranger sans jamais revenir. C’est d’ailleurs ce qui explique que le seul cimetière chrétien de Tanger, où est enterrée la grand-mère de Maryam Touzani, est aujourd’hui à l’abandon. La réalisatrice le montre par des visites ponctuelles de son personnage à ses proches enterrés, mettant en avant son apaisement face à l’endroit et à la mort.
Un hymne à la vie après la ménopause. Maryam Touzani voulait mettre en avant le côté vivant de la vieillesse, un moment communément oublié, relégué dans les souvenirs et n’ayant plus rien à expérimenter. « Il n’y a pas un moment où les choses se terminent » déclare-t-elle. Maria Angeles s’éteint au début du film, suite à la décision de sa fille, mais reprend vie au fur et à mesure, notamment dans une histoire d’amour. Elle réalise alors combien il lui reste à vivre. Pour la réalisatrice, « C’est très important de parler d’amour et de sexualité à un âge où ça devient tabou. » Elle montre la beauté des corps âgés, celle de redécouvrir son plaisir et son désir, à tout moment de la vie. « À partir du moment où on vit et on respire, on a le droit de jouir de notre vie et de notre corps » ajoute-t-elle.
« C’est beau de vieillir, c’est un privilège. Chaque ride sur notre peau est un testament de la vie qu’on a vécue. » C’est avec beauté, délicatesse et humour que Maryam Touzani le montre, aidée en cela par son actrice principale, dont elle dit voir toujours dans son regard la petite fille espiègle et la jeune femme qu’elle a été. Carmen Maura, qui a aujourd’hui 80 ans, offre une interprétation émouvante et forte aux spectateurs. La réalisatrice partage : « une fois que j’ai rencontré Carmen, j’ai compris qu’il n’y avait qu’elle pour incarner Maria Angeles ».
Le devoir des parents. Le film remet en question la notion, trop souvent prise pour acquise, que les parents doivent tout sacrifier pour leurs enfants. Si Clara ne fait pas les choses par méchanceté, c’est qu’elle ne voit pas le mal à demander à sa mère d’abandonner sa vie. Une vie dont peut-être la fille n’a pas conscience, convaincue qu’il ne reste plus rien à expérimenter à Maria Angeles. C’est, pour la réalisatrice, quelque chose que les enfants ne réalisent pas toujours, mais dont ils devraient prendre compte en tant qu’adultes. Le film montre également la solidarité entre les habitants de cette rue, quelque chose que Clara ne comprend pas. Or c’est cette rue qui donne à Maria Angeles de l’énergie. Maryam Touzani met également l'accent sur les objets collectés par son personnage au fil des décennies : « Ce sont les témoins de la vie de cette femme », il lui est très difficile de se retrouver soudain sans eux, ils permettent de l’ancrer. Cette trame va la mener dans les bras du brocanteur Abslam, interprété par Ahmed Boulane qui, lui, comprend l’importance que Maria accorde à ces objets et admire sa vitalité.
Rue Málaga est un hommage de Maryam Touzani aux femmes de sa famille, mais aussi à toutes les personnes âgées à qui on veut faire croire qu’elles n’ont plus le droit de vivre. Le film agit comme un témoin de toutes les expériences qui peuvent être vécues, dont certaines pour la première fois, après que la société ait décidé que tout s’arrêtait.
Le film sortira en salles le 25 février 2026.