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Mot de passe oublié ?Depuis l’invasion de l’Ukraine, les regards se tournent souvent vers l’Est de l’Europe. On peut cependant regretter que la scène artistique des pays d’Europe de l’Est soit peu présente dans le paysage hexagonal. L’initiative de Vera Michalski-Hoffmann et de Brigitte Bouchard de créer en 2016 le festival Week-end à l’Est a d’autant plus de mérite. Il célèbre chaque année en novembre les artistes d’une grande ville. Après Varsovie, Kiev, Budapest, Odessa, Tbilissi, Erevan, c’est autour de Bucarest, capitale de la Roumanie. Sous le commissariat d’Alain Berland, près de 80 artistes ont été invités à occuper de leurs œuvres plusieurs galeries, librairie, cinémas, situées dans un petit carré du quartier latin à Paris.
Au 22 rue Visconti, l’artiste Dan Perjovschi s’est emparé des murs blancs de la galerie éponyme pour écrire et dessiner à l’encre noire ses réflexions que lui inspirent Bucarest, l’Europe, le communisme, le socialisme, l’Europe, l’Eukraine, etc. Il a également collé plusieurs pages de l’hebdomadaire 22 (en référence à la chute du régime de Ceaucescu le 22 décembre 1989). Célèbre pour ses peintures et sculptures, comme pour ses provocations radicales traitées avec humour, Perjovschi a, depuis plusieurs années, choisi de s’exprimer en graffs sur les murs qui veulent bien d’offrir à lui. Avec cet artiste, né en 1964, on saisit la brutalité d’un passé qui n’est pas près d’être digéré, d’un espoir douché vers l’Europe et la dénonciation d’un présent et d’administrations dominées par l’inertie.
À deux pas, la galerie Boquet accueille l’installation de Dan Vezentan dont les œuvres sculptées sont réparties sur un long papier qui occupe tout le sol, tel un chemin dans la campagne roumaine. Une à une, ces œuvres vernaculaires racontent les traditions agricoles, font référence à un savoir-faire ingénieux, qu'il revisite pour rendre plus perceptible et admirable la relation passée avec la terre et l'eau conduisant à produire des formes simples et belles.
Une scène artistique contemporaine. Lauréat du Prix Marcel Duchamp 2011, Mircea Cantor est une figure incontournable de l’art contemporain. Dans un français impeccable, il explique le cheminement et les circonstances qui l'ont mené vers la production des œuvres qu’il présente dans la galerie Love&co de la rue des Beaux-Arts. Interrogeant la trace que peut laisser l'artiste, il a réalisé un film en 2022, juste après qu'éclate la guerre en Ukraine. "J'ai demandé à un soldat de l'armée roumaine de jouer du caval (une longue flûte traditionnelle) dans la forêt alors que son instrument prend feu. Pour montrer que dans les temps de crise, de guerre, il y a toujours une force de créativité qui laisse une trace" explique-t-il. Le soldat joue une musique traditionnelle, inscrite au patrimoine de l'UNESCO, jusqu'à ce que le feu arrive à ses doigts".
Rue Jacob, la belle librairie galerie Métamorphoses a prêté ses murs aux magnifiques portraits à l’huile de Radu Belcin. Dans une palette et une facture qui doit beaucoup à la peinture flamande du XVIIe siècle que cet artiste admire, des visages d’hommes expriment une intériorité et une profondeur suggestives.
La jeune scène artistique roumaine se dévoile derrière la façade béton de l’école d’architecture de Paris. Photos, créations papier, vidéos, peinture offrent un panorama de la diversité de jeunes gens engagés à défendre leur liberté d’expression. Ils sont une dizaine que le commissaire a sélectionnés, explorant des esthétiques variées, de la vidéo à la photographie, de l'assemblage papier à l'hyperréalisme.
La Roumanie de Christian Mungiu. Le plus populaire d’entre ces artistes, actuellement en tournage en Norvège, le parrain de cette édition s’est prêté à l’exercice du portrait mental. Le réalisateur Christian Mungiu a recouvert les murs du Paris Cinéma Club de plusieurs de ses séries photographiques qui témoignent de la relation qu'il entretient avec son pays, entre nostalgie et agacement, et donnent quelques clés de son esthétique cinématographique. Scènes de films, détails de portes, de façades, visages, silhouettes, Christian Mungiu accumule, aligne, compose. Cinéaste de l’intime, il a réparti au sol des objets récupérés, accroché au mur quelques assiettes en céramique traditionnelles, mis en images son attachement à sa grand-mère dont il a enregistré les récits, des souvenirs d’une histoire roumaine souvent tue. Autant d’indices qui habitent ses films, ses livres, autant d’émotions devenues le fil conducteur d’une pensée jaillissante. Ce foisonnement, décuplé par l’étroitesse du lieu, témoigne autant de la générosité du personnage que de l’amour inconditionnel pour son pays qu’il dessine à sa manière et dont les récits en images impriment nos rétines des paradoxes de la Roumanie.
Ces expositions, qui sont à voir jusqu'au 29 novembre, ne sont pas les seuls événements du festival. Projections de films, rencontres littéraires, concerts, danse, sont au programme de Un Week-End à l'Est.