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Mot de passe oublié ?Le jeune Picasso devait peindre de ses doigts gourds lors des rudes hivers, n’ayant pas les moyens de chauffer son atelier de Montmartre. Il y a un siècle encore, financer les artistes en herbe relevait du bon vouloir des mécènes et nul n’aurait songer à faire appel à la puissance publique, surtout pour aider un immigré à qui l’on refusa la nationalité française. Les temps ont heureusement changé, même s’ils peuvent encore se retourner, et le financement des créateurs et créatrices, quelle que soit leur nationalité, est devenu une obligation pour les instances publiques. La région Île-de-France ne fait pas exception qui initie depuis huit ans le remarquable programme Forte, Fonds régional pour les talents émergent, doté d’un budget annuel d’un million d’euros. Un programme d’autant plus nécessaire que Paris et ses environs continuent à exercer une puissance d’attraction considérable à travers le monde pour des artistes qui se trouvent confrontés à une vie chère et à une concurrence forte auprès des éditeurs et diffuseurs. Trente-sept « talents émergents » ont ainsi été choisis en 2024 parmi plusieurs centaines de jeunes en voie de professionnalisation. Quatre jurys constitués de professionnels rendent leurs verdicts pour les arts visuels, le cinéma et l’audiovisuel, la musique et les arts de la scène. Après dix mois de travaux financés par une bourse mensuelle de 2 500 euros, quelques lauréats sont venus présenter devant le public leur démarche et des extraits de leurs créations. L’auditorium de l’opéra Bastille accueillait ainsi, le 18 novembre dernier, huit lauréats de la promotion 2024, sous la présidence de Valérie Pécresse. L’ouverture de l’exposition des œuvres des artistes plasticiens lauréats suivait le lendemain, au sein des Réserves du Fonds régional des arts contemporains (Frac) à Romainville, visibles jusqu’au 11 janvier. Borgial, Le Miroir, sculpture et vidéo mêlant mémoire et spiritualité, exposée avec le CNEAI. Marguerite Li-Garrigue, Muts, sculptures inspirées de la métamorphose des insectes, reflet poétique de l’évolution humaine. Lou Fauroux, What Remains, The Internet Collapse, installation immersive questionnant notre dépendance au numérique. Djabril Boukhenaïssi, Livre d’artiste composée de gravures retraçant la répression du 17 octobre 1961 à Paris. Pauline Pastry, Les ateliers du diable, hommage aux ouvriers du XIXe siècle, entre vidéo et acier.
Huit moments d’émotion. Le public de l'auditorium Bastille, composé notamment de lycéennes et lycéens, a ainsi pu découvrir des prestations aussi diverses que celle de l’autrice-compositrice et interprète brésilienne Camille Constantin da Silva, véritable bête de scène. Également autrice et interprète Mac Mai Suong, née au Vietnam, a choisi de mêler R’nB jazz et Rock. Elle finalise une fresque en trois volumes d’une trentaine de ses créations, elle est soutenue par FoRTE pour son premier album, L’amour et d’autres mythes, fruit d’une coopération internationale entre la région et la ville d’Hanoï. Auparavant, Karolina Chabier a présenté Kosmogonia, son premier court métrage d’animation qui conte l’amitié de deux déesses de la vie, dépassées par la création d’un monde nouveau. Puisé dans un souvenir familial, le court-métrage La chambre de ma sœur de Pauline Dauméjean regarde avec humour la jeune génération. Dès l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Juliette Corne est allée filmer sur place des témoignages forts et sensibles qui composent le long métrage documentaire, La Nuit du Commandant. Difficile de travailler dans les bars la nuit quand on a un tel projet, et la jeune réalisatrice témoigne de la bouffée d’air qu’a été pour elle la bourse FoRTE. D’abord rétif, l’acteur Simon Roth s’est engagé dans la mise en scène du parcours d’un jeune Kurde, réfugié politique en France. Sa pièce, Erdal est parti, reflète « la nécessité de témoigner pour Erdal et les problématiques théâtrales que pose cette parole ». Née en Arménie, Angela Simonyan vit en France depuis 2009 où elle s’est formée à la musicologie, au violon oriental, au chant modal arménien, aux polyphonies géorgiennes. Après un premier album sorti en 2022, elle poursuit son œuvre de compositrice, violoniste et chanteuse avec Odayin (Aérien), hommage au féminin sacré, dont elle a interprété plusieurs morceaux, accompagnée du violoncelle de Lucie Cravero et des percussions orientales de Daniel Rhande.
Un écosystème d’accompagnement. Moment fort de cette soirée, la présentation du travail de la danseuse, chorégraphe et performeuse ukrainienne, Rita Lira, qui vit en France depuis 2022. La bourse FoRTE lui a permis de développer son projet, L’éternel retour, une pièce de 30 minutes construite autour des notions de cycles, de répétitions, par le prisme notamment des guerres. Ce projet est également soutenu par la Briqueterie (Centre national chorégraphique du Val-de-Marne), le théâtre national Chaillot et l’institut ukrainien en France. C’est en effet une singularité de la Fondation Forte de dégager un budget de 50 000 euros pour assurer « un accompagnement par une structure professionnelle ou culturelle pour des conseils artistiques et techniques, la mise à disposition de matériels ou de lieu, la mise en relation avec des réseaux professionnels ». Des institutions prestigieuses comme le Théâtre du Rond-Point et celui de Gennevilliers, La Ménagerie de Verre, la Souterraine, le Festival d’Auvers-sur-Oise, le CentQuatre-Paris, des producteurs et diffuseurs de cinéma comme Azadi, Les Monstres, Wasté Films, Amok Films, accueillent ainsi lauréates et lauréats, tout comme le font des compagnies et associations. C’est tout un écosystème qui se met en mouvement pour accompagner ces jeunes dans leur parcours sinueux d’artistes. Le 9e appel à candidatures FoRTE, destiné aux artistes âgés de 18 à 30 ans, est ouvert jusqu’au 19 décembre 2025.