Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Représenter la mort aux yeux de tous, laisser une trace de son passage sur terre, maintenir le lien avec ses défunts, témoigner de la finitude de l’humain, confronter son existence à l’éternité, sont autant de préoccupations qui ont inspiré à l’homme moultes techniques de conservation, tombes, statuaires, architectures emblématiques. Cette nécessité de représenter, de penser la mort, ne peut qu’attirer la conscience et l’imaginaire de l’artiste, comme en témoignent les créations contemporaines jalonnant le parcours de l’exposition Momies au musée de l’Homme. L’artiste s’en empare, hors d’un contexte funéraire, pour transporter le regard du public et réinventer des formes suggestives. Il peut s’agir d’une phrase évocatrice, en attestent Et si on arrêtait de mourir (2010), que Jérôme Conscience a gravé dans le granit noir d’une table basse pouvant s’apparenter à un mobilier funéraire, et le J’attends (2006) de Ben, sérigraphié en blanc sur fond noir. Il peut aussi s’agir du simple mot, Rien (2013), que Jean-Michel Alberola a tracé au néon en lui donnant la forme d’un crâne.
Réappropriations artistiques. Saisie par les alignements de défunts momifiés contre les parois des catacombes des Capucins de Palerme en Sicile, l’artiste-photographe Sophie Zénon les a d’abord immortalisés par ses tirages argentiques, puis a individualisé chaque momie en l’isolant et en la floutant dans le cadre de l’image. Elle souhaite ainsi « leur offrir un nouvel espace d’existence » écrit-elle à propos de ce travail. Trois de ses Momies de Palerme (2008) sont présentées au côté de photographies prises dans les catacombes. L'œuvre immaculée de l’artiste textile Jeanne Vicérial s'impose par sa dimension humaine. Confectionnée avec des cordes, des fils et des roses vernies, cette savante sculpture, intitulée Gisante de cœur (2022), interroge le corps féminin en interprétant les codes des statues funéraires du Moyen-Âge très souvent sculptées dans une pierre blanche pour représenter un saint ou un personnage de haut rang. Après des études de costumière puis un Master en Design vêtement à l’École des Arts Décoratifs de Paris en 2015, Jeanne Vicérial est devenue en 2019 la première titulaire d’un doctorat SACRe (Sciences, Arts, Création, Recherche).
Posé au sol, Tapis de fleurs (2013) d’Aurélia Zahedi est une installation de fleurs artificielles de cimetière, composant un memento mori. Habillant un buste en tissu, l’œuvre Nature humaine (2009) est une œuvre en textile brodé d’Aurélie Lanoiselée par laquelle l’artiste évoque la décomposition, s’inspirant du poème de Beaudelaire, Une charogne.
Liaisons formelles. L’image de la momie dans son sarcophage fut véhiculée par les gravures et les photos d’explorateurs et d’archéologues avant d’être abondamment reprise dans la littérature, la bande dessinée, les objets de la pop culture. L’exposition du musée rompt avec ce stéréotype, et la Grande momie (1963-1964) de Paul-Armand Gette, sculpture en forme de sarcophage constituée d'un assemblage de lettres d’imprimerie en bois et métal suggère une familiarité tout en interrogeant. « Marqué par la poésie de Dada et les cadavres exquis surréalistes, Gette crée des sculptures qui répondent à sa pratique poétique, jouant sur la libre association des idées, libérant les caractères des contraintes du langage » commente le Centre Pompidou, propriétaire de l’œuvre. Pour les scénographes, exposer Cuadro 33 (vers 1957) de Manolo Millares était une évidence. Cet assemblage de fragments de toile cousus sur toile de jute, acrylique et ficelle, impose sa proximité avec les tissus et bandelettes dont étaient entourées certaines momies. La forme du sarcophage se retrouve dans une œuvre issue de la série Préserver (2023-2024), de Nona Inescu. Exploratrice de la notion de post-humain, l’artiste s’est inspirée ici des serres portatives des botanistes du 19e siècle pour créer sa structure en acier et fleurs séchées.
Enfin, pour sa série Utopia Station (2003), Markus Schinwald a interrogé le devenir du corps après la mort en s’inspirant de l’imagerie médicale.
Ces œuvres offrent un écho contemporain aux corps momifiés, aux objets et mobiliers funéraires qui retracent une carte du monde de rites et de formes venus jusqu’à nous et que le musée de l’Homme nous offre de comprendre.