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« Mauvaise langue » : l’arabe, un sujet débattu à PriMed

par Élisabeth Pan
Jaouhar Nadi lors de la projection débat de Mauvaise Langue au festival PriMed
Jaouhar Nadi lors de la projection débat de Mauvaise Langue au festival PriMed
Cinéma Documentaire Publié le 10/12/2025
Le documentaire Mauvaise Langue de Nabil Wakim et Jaouhar Nadi, était présenté au festival PriMed. Sa projection fut suivie d’un débat entre le réalisateur et des lycéens marseillais.

Chaque année, le festival PriMed travaille avec les lycées marseillais afin que les élèves aient accès aux documentaires exceptionnels sélectionnés et puissent poser leurs questions aux réalisateurs présents lors des projections. Cette année, deux projections débats étaient organisées. L'une d'elles, autour du documentaire Mauvaise Langue, s'est déroulée en présence de Jaouhar Nadi, co-réalisateur et journaliste.

Le film suit plusieurs enfants d’immigrants arabes à qui ont n'a pas appris à parler leur langue natale. Aujourd’hui adultes, ils regrettent ce choix de leurs parents, souvent poussés par les professeurs sous prétexte d'un risque de confusion pour les enfants apprenant deux langues à la fois. Les différents points de vue, qu'apportent des personnes aux vies très différentes, comme l’artiste Mariam Benbakkar, l’actrice Sabrina Ouazani, ou encore l’ancienne ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem, permettent d’explorer ce thème en profondeur. En partant de ces témoignages, le réalisateur questionne la place de l’arabe en France.

 

L’arabe : mauvaise langue ? Pourquoi la deuxième langue la plus parlée du pays est-elle aussi mal perçue ? Pourquoi une langue si riche culturellement est-elle ainsi relayée au rôle de langue communautaire ? Pourquoi les personnes parlant arabe sont-elles mal regardées alors que celles parlant anglais, chinois ou italien ne le sont pas ? Enfin, l’arabe est-elle une mauvaise langue ? Ce sont les interrogations qu’explore le documentaire, sans pour autant prétendre apporter des réponses. Cette langue a en effet une connotation négative aux yeux de la société française, injustement réduite aux événements terroristes, laissant dans l'ombre le grand passé de sa culture. Maryam Benbakkar raconte dans le documentaire son expérience au collège le lendemain du 11 septembre, quand tous les élèves se sont mis à la surnommer Ben Laden. L’arabe est alors traité comme une « langue de communauté », tandis que les migrants anglais, portugais, ou encore espagnols sont applaudis pour leur bilinguisme. Jaouhar Nadi raconte avoir remarqué, enfant, que ses camarades demandaient à son ami américain de leur apprendre des mots d’anglais, tandis qu’on ne lui demandait que des insultes en arabe. De la même manière, le réalisateur a remarqué que les élèves blancs qui apprenaient l’arabe étaient applaudis, tandis que l’on considère presque dangereux que les Maghrébins le parlent, de la même manière qu'on craint d’un enfant d’immigrant qui l’apprend qu’il se soit radicalisé.

 

Une langue utile. L’arabe est une langue extrêmement complexe, à la culture riche, et le documentaire montre que lorsque les enfants d’immigrants, devenus adultes veulent enfin apprendre la langue de leurs parents, il leur est difficile de trouver le temps. Il leur aurait été plus simple de l’apprendre dans l’enfance, d’autant plus qu’il y a tant de différents dialectes que l’arabe littéraire enseigné à l’école ne suffit pas. Najat Vallaud-Belkacem partage les difficultés qu’elle a traversé lorsqu’elle a essayé de faire en sorte que l’arabe soit enseigné à l’école. Aujourd’hui, la continuité scolaire fait que beaucoup hésitent à prendre arabe en seconde langue au collège, par crainte que la langue ne soit pas enseignée dans leur lycée.

Elle était pourtant enseignée en France en 1515, mais la guerre d’Algérie et les colonisations ont fait qu’elle est aujourd’hui vue différemment. Mauvaise Langue montre également comment la langue leur aurait été utile, pour les concours de science politique par exemple. Sabrina Ouazani a raconté son expérience lors d’un casting où elle devait parler arabe et a inventé des mots sur le moment, par honte de dire qu’elle ne le parle pas. Jaouhar Nadi a partagé sa propre expérience quand, devenu journaliste, tout le monde s’attendait à ce qu’il parle arabe. Ne pas le parler lui a fermé certaines portes, notamment lors de ses reportages en Israël et en Palestine. Il explique que les journaux télévisés engagent plutôt des migrants que des enfants d’immigrés, qui ne parlent souvent pas la langue. « La difficulté, c’est de mettre des mots sur des maux » dit-il. Aujourd’hui, le réalisateur est père et regrette de ne pouvoir transmettre cette langue et cette culture à son enfant.

 

Les lycéens concernés. Lors du débat qui a suivi la projection, beaucoup de lycéens, parmi lesquels une Capverdienne, une Algérienne, un Égyptien, ont exprimé se reconnaitre dans le documentaire. D’autres disaient avoir appris avec leurs parents, ce à quoi Jaouhar Nadi a répondu qu’il avait remarqué une différence entre les migrants moins éduqués, qui vont faire le sacrifice de ne pas enseigner la langue à leurs enfants pour ne pas nuire à leur éducation, tandis que ceux plus cultivés ont conscience de l’atout de connaître cette langue pour leur avenir. Cela crée une inégalité entre familles de migrants. Des lycéens ont également témoigné d'une honte lorsqu’ils rendent visite à leurs familles et ne parlent pas leur langue, et des regrets de ne pouvoir communiquer avec eux. Les familles les pensent alors trop fainéants pour apprendre, ou leur reprochent de vouloir s’intégrer à la France au dépend de leur culture. Beaucoup, comme un jeune Martiniquais, racontent être arrivés en France dans leur enfance en ne parlant pas français et avoir été obligés d’oublier leur langue natale parce que des parents d’élèves se plaignaient qu’ils la parlent avec leurs enfants. Une élève d’origine congolaise exprimait elle sa difficulté à se situer entre les deux cultures, tandis qu’un lycéen malgache expliquait avoir fait ses études dans des écoles françaises à Madagascar et disait « on a beau être dans un environnement très propice à la langue, des fois on n’y arrive pas. » Certains lycéens ont applaudi le film, qui leur a permis de réaliser toutes ces choses sur lesquelles ils ne s’étaient jamais posés de questions. « C’est un sujet original, on n’en entend pas beaucoup parler alors que ça concerne beaucoup de personnes », disait l’une d’elles.

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