Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Clément Cogitore raconte en photos et vidéos des histoires qui portent la fiction aux confins du politique. L'île éphémère Fernandea n’a pas échappé à son intérêt, lui qui l’a découverte en lisant Dell’isola di Ferdinandea e di altre cose, ouvrage de Salvatore Mazzarella acheté dans une librairie de Palerme. C’est comme ça que tout a commencé, et c’est à partir de là que l’artiste philosophe a enquêté, cherché les documents, écrits, audios et vidéos, témoignant de l’apparition soudaine d’une île volcanique, en 1831, au large de la Mer Méditerranée. La frayeur des pêcheurs, premiers spectateurs du phénomène éruptif, là où ils avaient l’habitude de jeter l’ancre, fut suivie par l'intérêt des scientifiques venus observer et cartographier cette nouvelle venue dans l’horizon méditerranéen, et par une fascination collective. Son émergence à la surface ne dura que quelques mois. Ces quelques mois suffirent à enfiévrer les empires d’alors, Angleterre, France, royaume de Sicile… Chacun s’empressant de planter son drapeau pour s'en réclamer propriétaire, de baptiser, Graham pour les Anglais, Julia pour les Français, cette nouvelle « terre ». Les courriers des consuls et les journaux d'époque disent le fantasme des colonisations un an après la prise d'Alger par la France. Les dessins de l'irruption de ce petit bout de terre si convoité et les cartes indiquant sa situation géographique, 37 12 N / 12 42 E, documentent cette courte existence.
45 mn pour un mythe. La dimension fantasmagorique n'a pas échappé à Clément Cogitore qui est allé proposer son projet à Kathryn Weir, alors directrice du musée d'art contemporain Donnaregina de Naples, avant de le réinventer pour le Mucem à Marseille. La vidéo de 45 minutes, Clément Cogitore l'a réalisée en une suite de flashes visuels, audio, agrémentant son récit d'un texte de Tristan Garcia, le nourrissant de plusieurs langues du pourtour méditerranéen. L'apparition était trop belle pour qu'on la cantonne à une observation géologique. Ce qu’elle a produit dans les imaginaires la lie à jamais à une humanité qui ne cesse de s’émerveiller et de se projeter. Clément Cogitore lui-même fabrique avec l’île des futurs possibles dont celui de sa réémergence, que les scientifiques annoncent dans un avenir proche. On peut voir les images des plongeurs sur l'île gisant aujourd'hui à huit mètres de profondeur.
Ferdinandea, nom qu'ont donné les Siciliens à l'île en l’honneur de leur monarque, restera visible à Marseille pendant six mois par la grâce de l’art et la volonté du musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée. C’est deux fois plus longtemps que son immersion en mer de Sicile. L’exposition qui lui est consacrée, installée dans l’un des espaces du Fort Saint-Jean, propose une avancée dans l’obscurité, éclairée par plusieurs vidéos et photos de Clément Cogitore, telles des extensions du projet, éclairée également par des cartes, des dessins, des vitrines d’ouvrages anciens qui relatent l’événement. Au centre de la grande salle, une immensité noire figure la présence de l’île. À l’intérieur, des sièges attendent le visiteur invité à regarder le film de l’artiste philosophe qui, entre documentaire et fiction, constitue une nouvelle dystopie, où les contextes historique et politique de ces plus de deux siècles passés font quelques apparitions. Les images apparaissent, fulgurantes de propositions que l’artiste met à la disposition du spectateur pour que ce dernier se forge lui-même une pensée, une théorie, un savoir, une espérance.
Raconter avec les moyens de l’artiste « une histoire géologique, politique, diplomatique, artistique. Avec beaucoup de science et de choses poétiques, d’illusions, de fictions » décrit Pierre-Olivier Costa, directeur de l'institution. Les sept œuvres de Clément Cogitore, qui composent cette exposition, font désormais partie des collections du Mucem dont l’horizon s’étend loin en Méditerranée.
Exposition Ferdinandea, l'île éphémère. Clément Cogitore. Du 10 décembre au 17 mai 2026, au Mucem fort Saint-Jean, Marseille.