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Mot de passe oublié ?Voilà un film qui oblige le critique à s’interroger sur sa position. Deux solutions se présentent : ou éclairer l’œuvre de son contexte en dévoilant le travail sur les coutumes des populations des montagnes du nord de l’Albanie qui sous-tendent le film et le roman de l'Albanaise Elvira Dones dont il est inspiré. Ou bien laisser le spectateur partir à la découverte d’une personne, une inconnue que l’on peut rencontrer au bord de cette piscine où elle accompagne sa nièce à son entraînement de gymnastique aquatique, dans ce café où sa sœur adoptive vient chanter, dans le parking où elle travaille comme gardien. Une personne que l’on aurait croisée dans n’importe quel lieu de cette ville d’Italie où elle réside, descendue de sa lointaine montagne albanaise, une personne peu causante, un peu frustre, qui tout de suite nous intrigue et nous interroge sur le sexe à lui accorder. Car Hana-Mark n’est ni un homme, ni une femme, ni un transsexuel. C’est tout simplement un être humain qui a vécu ailleurs que dans notre culture, dans un lieu où un homme est un homme, une femme sa servante dévouée, mais où il existe une place, un statut inconnu, celui de vierge sous serment (Vergine giurata, titre original du film et du roman).
Ce serait ôter tout le plaisir de cette découverte d’un individu, de l’intrigue qui n’est autre que son identité et son devenir, que de fondre Hana-Mark dans son « origine sociologique ». Bien sûr, la curiosité nous animant, nous nous jetterons sur notre ordinateur en rentrant chez nous pour découvrir la réalité de ces vierges sous serment et le formidable travail de l’anthropologue Antonia Young.
Premier long métrage. La prouesse de l’actrice Alba Rohrwacher devrait lui valoir reconnaissance du public et de ses pairs. Elle qui interprétait la mère de famille dans Les Merveilles, réalisé par sa sœur Alice, est là d’une complexité aussi déroutante que sa rudesse montagnarde. Autour d’elle, chacun se voit forcé d’affirmer plus encore son sexe, sa sœur Lila jouissant de sa féminité, le maître nageur (interprété par le fabuleux Lars Eidinger, acteur fétiche de Thomas Ostermeier qui, la saison dernière, a soulevé le public dans son interprétation de Richard III) immédiatement masculin, la nièce qui joue les princesses aquatiques et se doute que cet oncle sorti de nulle part a quelques secrets bien intéressants pour son adolescence.
La jeune réalisatrice italienne Laura Bispuri réussit sans aucun doute son premier long métrage. Son film exigeait à la fois la caméra à l’épaule dans des scènes quotidiennes de montagne, la lenteur des plans, la simplicité des décors de cité, les aller-retour impérieux entre la vie dans la vallée pauvre et la pauvre vie à la ville. Elle ne rentre pas dans le personnage, sait maintenir une distance nécessaire pour ne pas faire d’Hana/Mark un être compréhensible. Sa réalisation, éclatante de sobriété, respecte fabuleusement le pouvoir de création du spectateur : nul jugement, nul propos idéologique ou revendicatif ne viennent troubler une lecture riche en émotions. Elle avait déjà été remarquée pour un court métrage où elle s’était fixée la gageure de filmer une chose aussi abstraite que « Le temps qui passe ».
On dirait sans doute que c’est un film qu’il faut absolument voir s’il n’était si faiblement programmé dans les salles de France.
Vierge sous serment. Film de Laura Bispuri, sorti en salle le 30 septembre. Avec Alba Rohrwacher, Flonia Kodheli, Lars Eidinger…