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Le Centre Pompidou-Metz vu par Emma Lavigne, sa directrice

par Véronique Giraud
Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz © Arnaud Bantquin
Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz © Arnaud Bantquin
Arts visuels Arts plastiques Publié le 27/03/2015
Après le Centre Pompidou-Paris, Emma Lavigne est devenue la directrice de Pompidou-Metz en décembre 2014. La conservatrice explique les enjeux et la mission d'un tel lieu.

Quels sont les atouts d’une structure comme celle de Pompidou-Metz ?

Les espaces sont sa qualité première. Ses surfaces, très conséquentes, permettent de déployer une riche programmation pluridisciplinaire. Dans des formes variées : des galeries très modulables, un auditorium, et un studio où sont présentés dans d’excellentes conditions des films, du spectacle vivant, des installations. De la conception même du bâtiment se dégage la pensée humaniste de Shigeru Ban, qui n’est pas un architecte d’un geste, de la sophistication. Ce n’est pas un lieu de démonstration architecturale mais un outil de sensibilisation du public à l’art, appuyé sur le socle de la collection de 100 000 œuvres du Centre Pompidou-Paris.

 

Le Centre Pompidou-Paris a été conçu au milieu des années 70 comme lieu d’expérimentation de la création, qu’en est-il aujourd’hui ?

Toutes les formes artistiques qui se déploient dans la création actuelle étaient déjà là dans les années 70. Les installations, la vidéo, les performances, les artistes travaillant avec le film, toute cette dimension est accueillie au Centre Pompidou-Paris. C’est un outil qui permet de montrer tout cela. De la même façon, les espaces très modulables de Metz permettent de répondre à de très nombreux souhaits des artistes contemporains : on peut programmer de grandes expositions, plus classiques, ou expérimenter l’espace de présentation des œuvres avec la structure même du bâtiment. Ca a un coût, mais c’est extraordinaire. La grande nef, au rez-de-chaussée, nous permet de présenter des œuvres d’un format spectaculaire. Autant d’atouts d’expérimentation.

 

La collection du Centre Pompidou-Paris aide-t-elle à exploiter la pluridisciplinarité ?

Ce n’est pas qu’elle aide c’est qu’elle est exceptionnelle. Si nous devions élaborer nos expositions en faisant venir toutes les œuvres d’institutions extérieures ou de collections privées, cela coûterait très cher. Il y aussi une raison de contenu, parce qu’une collection qui s’est constituée avec l’histoire de l’art en train de se faire, c’est évidemment passionnant. C’est une chance. L’art moderne coûte très cher en valeur d’assurance, l’accord avec le centre Pompidou nous permet de présenter quasiment gratuitement et sans frais d’assurance exorbitants des œuvres d’art moderne.

 

Tout cela pour quel public ?

Nous travaillons énormément avec les écoles, dès la maternelle. Notre politique en direction des publics est très diversifiée : les scolaires, le public adolescent auquel on propose des ateliers dans la Capsule, un lieu qui leur est consacré, les enfants, les familles, les individuels, les groupes. Notre fréquentation est très satisfaisante et, dans cette zone frontalière, la part des visiteurs étrangers a augmenté, passant de 23% à 35% en 2014, 10% sont Allemands. La dimension internationale du centre est à développer.

 

Quel serait le projet idéal pour le centre Pompidou-Metz ?

J’espère que nous sommes en train de le construire. Le Centre Pompidou-Metz s’enracine chaque jour davantage dans un vaste territoire (1/8ème de la superficie globale de Metz) en pleine construction. Nos résultats sont déjà très bons mais, avec ce nouveau quartier en train de sortir de terre, j’ai à cœur que notre lieu soit davantage une agora ouverte sur la ville, fasse partie de la vie quotidienne. C’est important. On y vient bien sûr pour une exposition mais on peut venir aussi pour la librairie, déjeuner, voir une œuvre, assister à un spectacle. Je pense que ce grand projet d’urbanisme aura un effet d’entrainement assez exceptionnel. C’est très stimulant, dans une période de stagnation économique, d’être au cœur d’une région qui, bien que touchée par la crise, déploie un très grand dynamisme.

Je me souviens, pour être allée très souvent à Bilbao au moment du développement du projet, ou à Berlin au moment de la création de la Postdamer Platz, qu’il était fascinant de voir toutes ces grues et ces bâtiments sortir de terre. Je me disais que cela devait être génial d’être dans une ville où on sent ce dynamisme. Ce qui est intéressant à Metz c’est à la fois son ancrage dans une histoire qui remonte à l’Antiquité et son développement actuel.

 

Le Centre Pompidou est-il moteur de ce développement ? Le levier économique que représente la culture dans des régions déshéritées est parfois à l’origine d’un réveil.

Je pense que cela participe davantage d’une politique ambitieuse de faire de Metz une ville qui compte. Metz a une véritable tradition de culture, avec le FRAC, le musée de la Cour d’or, l’omniprésence de la musique avec l’Arsenal, l’opéra-théâtre… Le Centre Pompidou-Metz, avec la présence de l’art depuis l’art moderne, manquait dans ce paysage déjà riche. On sait qu’un visiteur sur deux vient à Metz pour le Centre, mais la dynamique est plus globale. Les choses se font en synergie, le projet du Palais des Congrès, du centre Muse, etc. A 1H15 de Paris et des Vosges, à 45 mn de Luxembourg, tout près de la Sarre, on se sent vraiment au cœur de l’Europe.

 

Quel rôle peuvent jouer les élus pour faciliter la décentralisation culturelle ?

Le centre Pompidou-Metz est un EPCC (Etablissement public de coopération culturelle), ce sont les collectivités territoriales qui le financent. Ce qui est très important pour la vie d’un tel établissement c’est de pouvoir construire une programmation à trois ans. Il est essentiel d’avoir une visibilité et une stabilité budgétaire pour construire des projets ambitieux, car il faut parfois négocier les prêts deux ans à l’avance.

 

Est-il facile de convaincre ?

Les gens souhaitent souvent voir ce qu’ils connaissent déjà. Notre travail c’est aussi de faire rentrer le public dans des formes auxquelles il n’a pas forcément accès tout seul. Ce n’est pas forcément une visite où l’on découvre tout de A à Z, ça peut être quelque chose d’extraordinaire : nous avons tous les outils, les médiateurs, des conférences. Le Centre Pompidou-Metz est fait pour le public, notre travail c’est de nous adresser au public. Pas forcément de montrer ce que tout le monde connaît déjà, c’est aussi transmettre la pensée des créateurs, des artistes, des penseurs. Nous allons avoir une passionnante exposition de Michel Leiris. Bien sûr, plein de gens ne le connaissent pas mais si les visiteurs venus voir les chefs-d’œuvre de Picasso, de Bacon, ressortent et achètent L’âge d’homme, qui se lit en deux heures, et rentrent dans la pensée d’une personnalité extraordinaire, humaniste, on aura gagné ! On ne cherche pas à faire du chiffre mais à sensibiliser le public aux enjeux de la pensée contemporaine, de la création, à la façon dont ces artistes, ces penseurs ont des choses à nous dire sur le présent. C’est le cas aussi de l’actuelle très belle exposition Tania Mouraud. Ce n’est pas une artiste très connue, c’est justement ce qui est passionnant : faire découvrir une artiste dont l’œuvre fait résonner les enjeux de l’histoire de notre monde. Nous ne sommes pas un centre de divertissement, la sensibilisation est notre mission, elle s’inscrit dans un présent, dans une société. Ca peut être aussi un lieu d’évasion, par le rêve, par la beauté, mais c’est un lieu de sens et de transmission. C’est essentiel.

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