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Mot de passe oublié ?Il est des artistes qui ont l'audace de s'exprimer à l'aune de l'immensité de la nature. Par son gigantisme, le geste impressionne, dérange une évidence, transforme le regard sur un bien commun, suscite le manque en l'obstruant. Pour Jason deCaires Taylor, l'idée s'est aussi imposée de se mesurer à la nature. Ce passionné de plongée sous-marine a trouvé dans les fonds subaquatiques le lieu idéal pour exprimer sa créativité. Avec le risque de s'imposer d'emblée au monde entier.
Formé à la sculpture aux beaux-arts de Londres, le jeune diplômé n'a pas abandonné sa passion de l'eau en produisant des travaux de photographies sous-marines ou en accompagnant des groupes dans les plaisirs de la plongée. C'est à l'écart des fourmillants rivages, dans la profondeur sous-marine, que Jason deCaires Taylor a entamé son travail. En mai 2006, il y achevait le premier parc de sculptures à la Grenade, dans la baie de Moulinière aux Antilles. Prenant l'empreinte des corps de ses contemporains plutôt que de tenter de les imiter. Utilisant non pas le plâtre, ni la pierre ou le bronze, mais un mélange de ciment non polluant, pouvant même servir de support à la faune et à la flore sous-marines. Ces "corps" souvent grandeur nature et aux postures familières au XXIe siècle, il les a lestés afin de les poser sur la croûte terrestre, dans une eau limpide et peu profonde, puis les a agencés, soit les associant à une foule, soit en les isolant. L'un assis à une table devant un ordinateur, un autre à genoux la tête enfouie dans le sable, d'autres encore se tenant la main ou ailleurs rassemblés en une foule dense. Tous dans des attitudes les plus banales, entourés d'un univers peuplé de créatures tournoyantes et de végétaux les plus variés. Un premier musée d'art sous-marin, à seulement dix mètres de profondeur, a donc invité les plongeurs à évoluer au milieu de ces contemporains immobiles. Mais ce que Taylor veut avant tout partager avec le plus grand nombre c'est la beauté singulière de ces formes humaines révélée par l'ondoyance et la luminosité changeante. Il a donc abondamment filmé et photographié, dès les premiers jours d'installation puis régulièrement. Au fil du temps, les silhouettes se sont transformées. Elle sont devenues habitées, recouvertes de merveilleuses couleurs, d'intrigantes matières. Rien en commun entre une tête dont on discerne les traits humains et une masse oblongue occupée par des algues et des petits animaux marins. L'humain a disparu, la nature a fait son œuvre. Et c'est sans doute l'objectif de cette démarche singulière et démesurée.
Son dernier projet, tout aussi gigantesque, fait directement référence à l'actualité. Après le Mexique et les Bahamas, c'est en Europe que l'artiste britannique a installé pour la première fois ses sculptures. Précisément au Muséo Atlantico de Lanzarote, île espagnole située dans l'océan Atlantique. Dans ce nouveau musée sous-marin, les corps de réfugiés sur un radeau à destination de Lampedusa en côtoient d'autres pour des scènes plus légères qui stigmatisent par exemple la tendance des selfies. C'est à l'été 2016 que les plongeurs et les passagers de bateaux à coque de verre pourront découvrir le spectacle de plus de 250 statues trônant dans les fonds marins de Lanzarote.
Né en 1974 d'un père anglais et d'une mère guyanaise, Jason deCaires Taylor a grandi entre l'Asie et l'Europe. Diplômé du London Institute of Arts en 1998, il se consacre à la sculpture et à la plongée sous-marine. Avec son travail, unique, il réussit à concilier ses deux passions et a suscité une reconnaissance internationale avec la création en mai 2006 du premier parc de sculptures sous-marines à Grenade, aux Antilles, dans la baie Moilinere. Il est actuellement fondateur et directeur artistique du Museo Subacuático de Arte (MUSA) à Cancun, au Mexique. Ses magnifiques photographies et vidéo sont à voir sur son site