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Mot de passe oublié ?Fazil Say est de ces musiciens qui composent avec leur époque. Le concert du 18 juillet à l’opéra Corum de Montpellier, qui a fait entendre deux de ses compositions, en témoigne. Né à Ankara en 1970, le pianiste et compositeur aime autant la Turquie que la liberté. Ému par les troubles qui ont agité son pays, il a fait écho en 2013 aux manifestations pacifiques de la population réunie pour protester contre le chef du gouvernement Erdogan et son projet de reconstruire une caserne ottomane en lieu et place de l’immense Gezi parc, au cours desquelles plusieurs personnes ont perdu la vie, avant de s’emparer en 2016 de la beauté d’un Matin d’hiver à Istanbul. Dans le premier opus, il a retranscrit les bruits de la rue, les mouvements de foule, les cris, la terreur. Le second a fait place à la douceur du souvenir qui, évoqué note à note, nous transporte à Istanbul, sous la pâle clarté du jour naissant sur le Bosphore… Sur la scène de l’opéra Berlioz du Corum, les touches du clavier sont parcourues par les doigts agiles et vigoureux des sœurs jumelles Ferhan et Ferzan Önder. Elles rendent audibles l’audace de la rébellion et la liberté artistique sans faille du compositeur. En ce mois de juillet 2016, l’œuvre ramène un troublant écho aux tristes événements que vit actuellement la Turquie. Le compositeur, accusé par la justice de son pays pour avoir clamé son athéisme militant, a dû s’exiler en Allemagne pour préserver sa liberté et ses conditions pour créer. Les deux pianistes elles aussi ont quitté la Turquie pour vivre en Autriche.
Pour cette soirée Alla Turca, les deux pianistes sont accompagnées de trois percussionnistes de grand talent, les autrichiens Martin Grubinger père et fils, et le bulgare Alexander Georgiev. Martin Gruber senior a orchestré l’ensemble des pièces et il en ressort des créations très originales, servies par l’exceptionnel Martin Grubinger junior, considéré comme le meilleur percussionniste au monde. Aux côtés des vibraphones, dont les trois musiciens laissent échapper des sons rarement égalés, une myriade d’instruments de percussion offre des sonorités peu familières et d’une poésie envoûtante. On redécouvre avec eux Gezi Park, que l’arrangement enrichit de variations inédites. Deux autres morceaux offrent la primauté aux percussions : le concerto The tears of nature, que le chinois Tan Dun a composé comme une suite à ses évocations des grands explorateurs et dédié au charisme virtuose du jeune Martin Grubinger, et un magnifique quartet pour deux pianos et deux vibraphones écrit par Steve Reich en 2013.
« En Turquie, tout le monde chante », rappelle la jeune chanteuse Güler Hacer Toruk, qui, aux côtés d’Emmanuel Bardon, directeur artistique de l'ensemble Canticum Novum, interprète ce soir des chants anciens qui nous transportent aux XVIe et XVIIe siècles, dans l’Orient rêvé de l’Empire ottoman. Autour d’eux, la flûte, l’oud, le kanun (sorte de harpe horizontale), le nickelharpa (vièle à clavier), la fidula, la vièle, exécutent plusieurs partitions issues du Livre des sciences de la musique de Dimitri Cantemir. Les mélodies sensuelles, aux intonations si singulières, exhalent les splendeurs passées des cours des sultans, où la musique et la poésie de la Méditerranée était considérées comme comble du raffinement.
La soirée s’achève, après une standing-ovation, par un petit discours d’une sœur qui évoque la démocratie en Turquie avant d’offrir généreusement une ultime surprise musicale. Ce sera Astor Piazzola avec une interprétation très libre et inventive au piano et aux percussions des cinq musiciens virtuoses.
Concert Alla Turca, le 18 juillet à l'opéra Berlioz du Corum à Montpellier, dans le cadre du Festival Radio-France Montpellier.