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Mot de passe oublié ?Ils parlent souvent la même langue, l’espagnol. C’est peut-être un facteur d’engagement. Pas le premier, bien sûr. Le premier, c’est à la fois la pauvreté, une situation sociale ou familiale dégradante, et le rêve. L’American Dream reste un facteur puissant qui pousse un homme ou une femme, parfois avec des enfants, à quitter sa région pour le voyage vers le nord. Un, dix, cent, mille, cent mille, un million, le flot des clandestins grossit lorsqu’il arrive au Mexique, pays frontière avec l’El Dorado américain. Mais aussi pays de toutes les mafias, de toutes les corruptions.
Interpellés par les centaines de milliers de migrants qui frappent aux portes de l’Europe, on en oublierait ceux qui frappent aux portes des Etats-Unis si Donald Trump ne les avait fustigés de sa démagogie populiste pour se faire élire. Les Terres dévastées, livre d’Emiliano Monge qui sort ce mois-ci en France ne pouvait pas le prévoir. Publié en 2015 au Mexique, il lui aura fallu deux ans pour franchir l’Atlantique et trouver éditeur, Philippe Rey et traductrice, Juliette Barbara.
Témoignages de clandestins. Mais Les Terres dévastées est avant tout un roman, même s’il utilise pour matériau les témoignages de nombreux migrants que l’auteur est allé recueillir dans les centres de rétention ou que les ONG, remerciées dans le livre, ont rapportés. Ces témoignages, présentés typographiquement comme des déclamations courtes qui rappellent les chœurs antiques, alternent avec des morceaux poétiques « inspirés de la Divine Comédie de Dante » écrit l’auteur. Ils sont violents et poignants, évoquant les brimades, les violences, les viols, les meurtres de compagnons qu’ont subi ces migrants de la part des multiples passeurs qui en font leur business. Passeurs et esclavagistes, qui sont les personnages principaux de ce roman. Deux d’entre eux particulièrement, un couple Estela et Epitafio, qui convoie séparément leur « marchandise ». Un roman sur les bourreaux donc ? Qui s’aiment et tentent de survivre comme tant d’autres êtres humains ? Pas vraiment, car tout ce monde est issu des mêmes violences, de la même enfance horrible, tantôt du côté des exploitants, souvent du côté des exploités. Les phrases précises, alternant langage populaire et narration d’une intrigue quasi policière, situent le roman à cheval entre le réalisme de la série Narcos et un Panthéon grec observé crûment.
Ce roman, le troisième du mexicain Emiliano Monge mais le premier traduit en français, est un des premiers à aborder les migrations du XXIe siècle. Et renouvelle la tragédie.
Les Terres dévastées d’Emiliano Monge. Editions Philippe Rey dans une traduction de Juliette Barbara. 358 pages, 22,00€. Prix Elena Poniatowska 2016.