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Julie Benegmos : « Devenir stripteaseuse peut être un vrai choix »

par Véronique Giraud
Julie Benegmos ©Lina Juseviciuté
Julie Benegmos ©Lina Juseviciuté
Arts vivants Théâtre Publié le 04/06/2022
Pour leur dernière pièce, "Strip, Au risque d’aimer ça", Julie Benegmos et Marion Coutarel ont réalisé des longues recherches et enregistré des témoignages pour mettre en scène le métier de stripteaseuse et ses coulisses. Julie revient sur leur processus.

Elle aurait pu rester architecte si… Diplômée de l’École d’architecture de Paris-Belleville, puis travaillant trois ans en agence, Julie Benegmos n’avait rencontré lors d’un voyage en Inde une chef décoratrice de cinéma qui l’a prise comme assistante pour des tournages. Après ce premier pas posé dans le milieu du cinéma, elle décide de créer ses propres films, court-métrages et documentaires. Puis, alors qu’elle projette de raconter l’histoire de sa famille, de faire son travail de mémoire, elle ne parvient pas à trouver de financement de son film. « Je suis passée par le théâtre pour pouvoir en parler » explique-t-elle. Elle y est restée.

 

Comment s’est faite votre rencontre avec Marion Coutarel ?

Après L’Oubli, arrivant à Montpellier, je cherchais quelqu’un pour m’accompagner à la mise en scène de ce monologue. Marion avait fait un spectacle très personnel, qui racontait aussi une histoire très autobiographique. Ce travail nous a rapproché.

 

Comment est venu le désir de vous interroger et d’interroger le public sur le monde du striptease ?

Nous voulions surtout déconstruire des stéréotypes sur les femmes qui travaillent dans le striptease et sur les clients. Nous voulions aussi montrer ce que ça dit de l’ordre moral et sexuel. Parce que c’est facile de considérer ces endroits comme lugubres, sordides, où il se passe des choses. Nous avons travaillé sur ça. Nous insistons sur le fait qu’il s’agit de théâtre érotique. Il y a bien sûr des clubs glauques, mais là il s’agit de scénarios érotiques, qui frôlent toujours le spectacle, le théâtre, la performance.

 

Le plaisir aussi…

Oui le plaisir de ce partage-là. C’est pour cela que la jauge est réduite.

 

Quel est le lien entre les témoignages réels des stripteaseuses et la femme libre ?

C’est la liberté de faire ce métier. Choisir de devenir stripteaseuse ça peut être un vrai choix, pas une chose qu’on force à faire. Cela peut être porteur de confiance en soi et du sentiment de puissance sur son corps, sur ce qu’on en fait, sur ce qu’on décide d’en faire. C’est la liberté aussi par rapport au regard des hommes. On entend dans les documents filmés le côté qui peut être assimilé à pute, vulgaire ou à son contraire. C’est quoi cet entre-deux ? Où on se situe par rapport à ça ? On n’est pas forcément conscientes de tous les stéréotypes qui nous accompagnent dans le chemin de nous, de notre rapport au corps et encore plus à la nudité. L’histoire de ce lieu raconte ça. On a vraiment envie d’un lieu où, même si ça ne se répète pas tous les soirs, on réinterrogerait ça.

 

Comment réagit votre public ?

Ce qui est intéressant c’est qu’on a tout l’éventail, des très jeunes aux très âgés. Cela nous a surpris. Les gens qui viennent nous voir à la fin sont des gens qui ont été touchés. Le public vient nous voir avec beaucoup de questions. Une spectatrice nous disait hier : ça m’interroge sur plein de choses, qu’est-ce qui est border, qu’est-ce qui est kitsch, qu’est-ce qui est de l’ordre du partage, c’est quoi la nudité. C’est ce qu’on voulait. Nous ne voulons pas apporter de réponses, ni de jugement.

 

L’une des témoins évoque le féminisme, vous n’avez pas rebondi sur ce qu’elle dit. Pourquoi ?

Je rebondis un peu en disant : j’imagine que chacune a la réponse à cette question. Mais nous ne voulions pas rentrer dans une opposition. Il y a aujourd’hui beaucoup de courants féministes, les détracteurs essaient de les opposer. Nous ne voulions pas ouvrir la porte à ces oppositions. Nous sommes fières de venir de là, de la liberté et des droits, mais c’est une autre vision du féminisme que raconte le témoin. Bien sûr tout est lié, mais nous ne voulions pas en faire une pièce politique. On a envie que ça fasse bouger les lignes, que ça transforme des choses, mais ce spectacle ne donne pas des définitions. On voulait que ça donne la liberté aux gens de penser différemment sans imposer une vision ni donner des leçons. L’idée c’est vraiment de poser des questions, ou d’ouvrir des portes.

 

Et après ce spectacle ?

Suite à ce spectacle, nous avons créé une performance qui s’appelle Du strip au tease. Nous avons mis beaucoup de temps à bâtir le spectacle, du temps pour la recherche, pour les interviews (2 heures par fille), il fallait choisir les passages, les lier entre eux. Il s’agissait toujours de trouver cet équilibre entre la phase documentaire, la phase fictionnelle et la phase autobiographique. On s’est nourri de beaucoup de films de striptease, des années 20 à aujourd’hui. Un théâtre nous a demandé si on pouvait faire une lecture des textes qu’on avait choisis. On a décidé de faire une lecture accompagnée d’une projection de films. De là on a monté une petite forme, Marion est journaliste, moi je suis réalisatrice. Elle m’interroge, on passe les scènes mythiques des films de striptease puis on les analyse en direct. On montre le burlesque aux États-Unis, le Crazy Horse, des femmes fortes qui ont revendiqué le striptease comme un vrai métier. Notamment Rita Renoir, célèbre stripteaseuse du Crazy Horse dans les années 60, qui a complètement transformé le striptease chorégraphique en performance artistique. Théâtrale, engagée.

Elle disait que sa relation avec le public, le lien qu’elle entretient avec lui, permettait de transgresser des limites et de faire bouger les genres. Et de créer communion, ce qu’on cherche dans l’acte théâtral. C’était tellement fort qu’on s’est dit qu’il faut en faire un spectacle. Nous l’avons créé à Paris en le jouant dans des bars.

 

Après trois autofictions, quel sera votre prochain spectacle ?

Nous allons former un trio, avec Aneymone Wilhelm, scénographe et costumière de Strip, et ce ne sera pas un spectacle d’autofiction. Nous avons été sélectionnées pour deux ans d’accompagnement en recherche sur le milieu du funéraire. C’est un projet sur la mort et sur la manière dont on s’approprie le funéraire aujourd’hui en France, en tant qu’athée. Comment les pompes funèbres sont devenues des lieux de commerce et de profit et comment on essaie de sortir de cela en créant des coopératives pour des lieux plus justes et des enterrements qui nous ressemblent. Pas des choses toutes faites. Pour ce projet, nous sommes en résidence au TNG Lyon.

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