espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > Printemps des Comédiens : Tartuffe séducteur séduit

Printemps des Comédiens : Tartuffe séducteur séduit

par Jacques Moulins
Marina Hands et Christophe Montenez dans la version originelle de Tartuffe. © Jan Versweyveld
Marina Hands et Christophe Montenez dans la version originelle de Tartuffe. © Jan Versweyveld
Arts vivants Théâtre Publié le 30/05/2022
C’est une version inédite du Tartuffe que reprend le Printemps des Comédiens dans le cadre d’un partenariat avec la Comédie Française pour les 400 ans de Molière. Avec une mise en scène tout aussi inédite d’Ivo van Hove.

Imaginez l’émoi et l’impatience du spectateur. Molière, monument de la langue et du pays, Molière dont les pièces sont étudiées, rencontrées, vues tant de fois par tant de Français, Molière pour son quatre-centième anniversaire nous offrait une nouvelle version de Tartuffe par le biais de son biographe et éditeur de ses œuvres complètes pour la Pléiade, Georges Forestier (notre entretien avec l’universitaire).

Ce véritable miracle littéraire et théâtral a pour origine la somme de travail réalisée par l’universitaire qui lui a permis de reconstituer la version originale de Tartuffe ou l’hypocrite, présentée au roi Louis XIV en 1664. La pièce n’a alors que trois actes, les deux suivants ont été rajoutés pour atténuer la vive réaction des milieux religieux à la présentation de l’hypocrisie que dénonce la pièce. Hormis le roi et sa cour, personne n’avait jamais vu cette version dont la mise en scène a été confiée par le directeur de la Comédie Française, Éric Ruf, au belge Ivo van Hove pour le lancement de l'année hommage au grand dramaturge et comédien.

 

De l’Hypocrite à l’Imposteur. C’est dire si l’attention était grande, aussi bien le 15 janvier dernier dans la maison de Molière à Paris qu’à l’amphithéâtre d’O à Montpellier où la pièce a été reprise après un passage début mai au Thalia Theater de Hambourg. La surprise des spectateurs a été aussi vive au Domaine d’O qu’au Théâtre Français. Ce qui est une bonne chose au théâtre, même si la version inédite constituait déjà en soi une nouveauté.

Ivo van Hove, qui a déjà mis en scène Le Misanthrope et L’Avare, mais hors des scènes françaises, a reconnu que la pression était forte. Monter le spectacle avec les acteurs de la Comédie Française, compagnie de référence lorsque l’on parle de Molière, était à la fois un gage et une assurance.

Mais le plus grand défi était sans aucun doute, dans cette version inédite présentée comme plus directe et moins complaisante envers pouvoirs royal et ecclésiastique que celle jouée jusqu'à aujourd'hui. La première version a pour titre Le Tartuffe ou l’Hypocrite, elle deviendra Le Tartuffe ou l’Imposteur lorsque Molière atténuera son texte afin de bien montrer que l’on a affaire à un escroc et non à un de ces dévôts hypocrites qui courent les salons de Paris et la cour de Versailles. Personne ne sera abusé, surtout pas l’église. L’Archevêque de Paris ira jusqu’à menacer d’excommunication quiconque verra, lira ou entendra la pièce avant que, avec l’accord de Louis XIV, L’Imposteur soit présenté au Palais Royal où il fera un triomphe parmi les spectateurs parisiens.

 

Elmire séduite, troublée… Dans un décor structuré par la lumière qu’Ivo van Hove affectionne, les acteurs marquent nettement le caractère des personnages. Christophe Montenez est mielleux à souhait, Denis Podalydès aussi niais que l’exige le rôle d’Orgon, Dominique Blanc incarne avec malice la servante Dorine dont le rôle a moins d’importance que dans la version définitive en raison de l’absence de l’idylle entre Mariane et Valère, et Claude Mathieu en tant que mère d’Orgon défend avec merveille l’observance stricte de la morale religieuse que Cléante, interprété par Loïc Corbery, dénonce avec vigueur. Il y a là la ferveur et la passion d’un sujet semble-t-il éternel : l’hypocrisie religieuse.

Mais c’est un autre schéma directeur qu’ajoute Ivo van Hove. Il veut voir dans le couple que compose Elmire et Orgon, un ménage qui ne fonctionne pas ou plus, une épouse délaissée qui n’est pas insensible aux charmes de Tartuffe. Dès lors Marina Hands déborde d’ambiguïté. Sa gestuelle désordonnée, surprenante au début de la pièce, marque en fait les sentiments multiples qui l’animent : son ennui de jeune femme mariée à un époux inutile, son courroux face à un imposteur que son mari impose, son désir charnel d’un homme qui avoue sa passion et sera par elle confondu. Lorsque, après avoir caché son mari sous la table, Elmire avoue son trouble pour confondre Tartuffe (le texte est semblable dans les deux versions), Ivo van Hove choisit de la prendre au sérieux, et le jeu de Marina Hands dit son désir coupable, tout en accentuant le comique de la scène.

Quelle que soit l’appréciation qu’on peut avoir d’une telle interprétation, la pièce montrée au Printemps des Comédiens dit assez combien Molière est vivant, combien il nous édifie et nous fait rire encore et combien la Comédie Française possède d’art pour toujours nous charmer avec celui qui en fut le premier patron. Un Colloque Molière a été organisé par le festival au Domaine d’O et à Pézenas, ville où l’écrivain effectua plusieurs séjours et qui fête également son 400e anniversaire.

 

 

Le Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière. Version inédite en trois actes reconstituée par Georges Forestier. Créée à la Comédie Française le 15 janvier 2022, reprise au Printemps des Comédiens du 26 au 28 mai.

Mise en scène : Ivo van Hove Scénographie et lumière : Jan Versweyveld. Avec Marina Hands, Christophe Montenez, Denis Podalydès, Claude Mathieu, Dominique Blanc, Loïc Corbery… Du 2 au 4 juin aux Nuits de Fourvières, du 16 au 18 juin au Festival d’Athènes, du 13 au 15 octobre à la Comédie de Genève.

Partager sur
Fermer