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Grotte Cosquer, « Un art au service du groupe social »

par Pierre Magnetto
Gilles Tosello lors de l’inauguration de la réplique de la Grotte Cosquer à Marseille début juin. © Naja
Gilles Tosello lors de l’inauguration de la réplique de la Grotte Cosquer à Marseille début juin. © Naja
Un art pariétal avant tout bi-chrome. Ici la représentation d’un bison. © Kléber Rossillon & Région Sud/source 3D
Un art pariétal avant tout bi-chrome. Ici la représentation d’un bison. © Kléber Rossillon & Région Sud/source 3D
Gilles Tosello : « La principale difficulté c’est la documentation ». © Kléber Rossillon & Région Sud/source 3D
Gilles Tosello : « La principale difficulté c’est la documentation ». © Kléber Rossillon & Région Sud/source 3D
Arts visuels Publié le 25/06/2022
Gilles Tosello est diplômé en art graphique. Il dirige une des sociétés ayant participé à la réplication des grottes Chauvet et Cosquer. Egalement docteur en préhistoire il dévoile ici ce que nous apprend le site sous-marin découvert en 1985 est qui, menacé par la montée des eaux, trouve dans le fac-similé abrité par la Villa Cosquer Méditerranée à Marseille une planche de salut.

La Grotte Cosquer n’est pas la première grotte ornée découverte et pourtant on la dit unique. Qu’est-ce qui la rend si exceptionnelle ?

 

D’abord sa localisation sur la rive gauche du Rhône car l’art des grottes s’est développé sur l’autre rive, notamment dans le Sud-Ouest de la France et le Nord de l’Espagne, avec quelques points dispersés dans le reste de l’Europe. Cela montre qu’il y a eu aussi des pratiques d’art pariétal dans cet autre univers tourné vers la Méditerranée. Ensuite elle témoigne à sa manière du réchauffement climatique et de la montée du niveau des océans. A l’époque l’entrée était accessible à pied, le niveau de la mer se situait 135 mètres plus bas et la ligne des cotes à environ 5 kilomètres plus au Sud. La présence de la mer dans la grotte est contemporaine. Elle impressionne beaucoup le public mais elle est totalement anachronique et n’a rien à voir avec la réalité historique.

Pour le reste la grotte s’intègre sans problème avec les autres grottes ornées connues, présentant pas mal de points communs avec d’autres sites. Mais elle présente aussi des traits qui lui sont personnels. Par exemple avec la représentation de la faune marine, comme les pingouins et les phoques du fait qu’elle n’était pas loin de la mer.

 

Qu’est-ce qu’elle nous apprend que nous ne sachions déjà de l’histoire de l’humanité ?

 

Malheureusement elle nous apporte une connaissance tronquée. Par chance elle a une topographie montante puisque l’entrée est plus basse que le fond de la grotte. Si elle avait eu un développement horizontal comme la plupart des grottes connues tout aurait disparu. On estime que 60% à 70% de la cavité d’origine ont probablement été engloutis. Mais est-ce que la totalité de ces galeries était ornée, personne ne le sait. Avons-nous quelque chose de représentatif de ce qu’était la grotte dans son ensemble, ce n’est pas sûr. Néanmoins il y a suffisamment de représentations pour qu’on puisse déjà tirer quelques conclusions. D’abord il y a les datations, entre -33 000 et – 19 000 ans. Elle a été fréquentée d’après le carbone 14 pendant au moins 10 000 ans. On obtient cette datation intéressante grâce aux empreintes de mains négatives noires réalisées avec du charbon de bois qui la situent au-delà de 30 000 ans.

 

Les représentations animales ne donnent-elles pas d’indications plus précises ?

 

Quand on regarde l’ensemble des espèces représentées, on remarque des traces de faune ancienne avec le mégacéros. Les représentations de ce cerf géant qui avait des bois parfois de plus de 3,50 mètres d’envergure, constituent un indice d’ancienneté. On sait qu’il a disparu en Europe il y a environ 20 000 ans. On a aussi la présence de chevaux, bisons, aurochs, bouquetins… typiques d’une faune de biotope tempéré et pas représentatifs de la période glacière. En revanche, la note originale c’est la représentation du grand pingouin, animal disparu au début du XIXe siècle, exterminé par les baleiniers de Terre-Neuve et donc on sait exactement à quoi il ressemblait. Il est plutôt indicateur d’un climat plus rigoureux.

Ce qui est intéressant aussi c’est que la grotte a des points communs avec d’autres sites par la présence de signes non figuratifs. Il y en a un qui a une forme très particulière que l’on retrouve dans des grottes du Quercy dans le Lot comme au Puech Merle ou plus loin, dans la Grotte du Placard en Charente. Ça montre que les groupes humains qui la fréquentaient, s’inscrivaient dans un tissu de relations, dans un réseau d’échanges culturels importants à cette époque.

 

Avant Cosquer, d’autres sites remarquables ont été découverts et restitués, comme ceux de Lascaux ou de Chauvet. Peut-on tirer des conclusions générales quant aux modes de vie et d’organisation sociale des premiers être humains ?

 

Les représentations dans les grottes nous donnent une impression de fraicheur, de modernité, de spontanéité. Finalement on se sent très proches des artistes. Mais là s’arrête l’illusion parce que dès qu’on essaye de comprendre comment ils étaient organisés socialement, les données font défaut. On ne peut même pas estimer la démographie. On sait simplement qu’elle était extrêmement basse. Une des approches pour le savoir est de fouiller les sites qui ne sont pas dans les grottes mais à l’extérieur, des campements préhistoriques par exemple. Quand des vestiges sont bien conservés on peut essayer d’estimer en fonction du nombre de mètres carrés occupés, le nombre de personnes qui pouvaient y vivre. Par exemple si vous avez un cercle matérialisant l’emplacement d’une hutte ou d’une tente on peut estimer combien de personnes pouvaient tenir à l’intérieur. Généralement on compte au maximum 5 personnes et si on regarde le nombre d’emplacements qui ont fonctionné ensemble on tombe sur une vingtaine de personnes par groupe. On ne peut pas imaginer que le nombre soit très faible parce que le groupe risquerait de disparaître à chaque moment, il suffit qu’il y ait un mauvais hiver par exemple. Il y a forcément une masse critique, mais il ne faut oublier que ce sont des nomades, que ce sont des groupes de chasseurs. Les prédateurs sont toujours beaucoup moins nombreux que les proies, sinon ça ne fonctionne pas.

 

Mais plus précisément, sur l’organisation des groupes ?

 

Si on essaye de comprendre comment était organisée la société, de savoir s’il y avait une structure de pouvoir dans le groupe, comment se transmettait ce pouvoir, là on tombe dans la fiction. Nous avons des indices, par exemple avec des sépultures contenant des individus enterrés avec beaucoup d’objets, des parures, des bijoux. Ça donne l’impression qu’ils ont été traités avec soin, peut-être parce qu’ils jouissaient d’un certain prestige. Est-ce que ça veut dire pour autant qu’ils avaient le pouvoir, ou qu’il s’agissait de gens très respectés pour diverses raisons, on ne le sait pas. Et puis la pratique de l’inhumation n’était pas très répandue et nous avons peu d’exemples à disposition.

 

Comment se transmettait la pratique de l’art pariétal ?

 

Nous avons des indices indiquant qu’il y avait un apprentissage. On observe des manières récurrentes de représenter des animaux, des codes graphiques qui se reproduisent pendant des millénaires. Cela montre qu’il y avait une transmission du savoir-faire, ce qui semble complétement logique. Ça veut dire peut-être aussi que n’importe qui n’accédait pas à ce statut. Cet art a aussi une signification et une fonction dans la société certainement importante au vu du nombre de grottes qui nous sont parvenues. Il relevait certainement du domaine de la spiritualité, des croyances, des rites et, on ne peut pas penser que tout le monde pouvait y avoir accès. Les peintres devaient respecter des codes en commençant par les apprendre. Il y avait sans doute des structures sociales fortes avec des systèmes d’apprentissage pour toutes les activités, la taille du silex, la chasse, etc. Tout ça s’apprend et c’est du domaine de toutes les sociétés humaines.

 

Observe-t-on des différences dans les représentations qui nous sont parvenues ?

 

Il y a un élément très fort dans la préhistoire c’est la tradition. Durant cette période le temps ne passe pratiquement pas. Il passe mais extrêmement lentement. Les générations reçoivent un héritage de leurs ancêtres, le transmettent pratiquement sans rien changer ni dans les modes de vie, ni dans les types d’arme, ni dans les représentations. Il y a quand même parfois des innovations. Par exemple le propulseur a été inventé il y a probablement une trentaine de millénaire pour la chasse et il y a un avant et un après. Mais les inventions sont peu nombreuses et montrent que ces sociétés étaient extrêmement conservatrices.

 

Une création artistique demande de mobiliser des techniques et savoir-faire, mais aussi des facultés comme l’abstraction ou l’imaginaire. Que sait-on à ce sujet et peut-on parler d’art dès cette époque ou est-ce l’interprétation qu’on en fait aujourd’hui ?

 

Il faut oublier le sens qu’on accorde aujourd’hui au mot art quand on parle de la préhistoire et de l'art pariétal. La facette commerciale, la facette égo n’existe pas. Aujourd’hui un artiste cherche à exprimer sa propre personnalité et à se différencier des autres, en tout cas c’est comme ça que je le vois. Durant la période préhistorique, on est dans le contexte d’un art entièrement au service du groupe social. Par comparaison, durant le moyen-âge jusqu’à la Renaissance on ne disait pas que les peintres étaient des artistes, mais des imagiers. Ils étaient contrôlés par une corporation qui elle-même était au service de l’Église. Dans leurs travaux, ils représentaient des scènes acceptées par les pouvoirs et vivaient dans une espèce de contrôle permanent de ce qu’ils produisaient. Ils avaient plein d’interdits. A l’époque de la préhistoire on a quelque chose du même ordre. Par exemple il y a très peu de représentations humaines et aucune avec un visage ou des traits individuels. Sur une telle durée de temps on peut penser qu’il y a quelque chose qui relève du tabou, de l’interdit. On ne représente pas les êtres humains et en tout cas pas pour qu’on puisse les reconnaître.

 

Vous dites qu’il n’y a pas d’égo mais on dit pourtant que les traces de mains à proximité des représentations pourraient être une forme de signature. Vous êtes d’accord avec ça ?

 

Le symbole de la main me laisse perplexe. C’est un signe universel mais tellement ambivalent ou polyvalent. Dans certaines civilisations si on lève la main ouverte c’est un signe d’apaisement, ailleurs c’est pour jeter une malédiction. Il faut être très prudent. Nous avons plusieurs centaines de traces de mains dans les grottes. Certaines sont entières, d’autres avec des doigts coupés ou incomplets, qui ont donné lieu à des interprétations multiples. Quand vous avez une main où il n’y a plus que le pouce c’est difficile d’y croire. Je remarque juste qu’une empreinte de main parfaitement réussie est presque aussi personnelle qu’un visage ou qu’une ombre bien projetée à travers laquelle on reconnaît un individu. Je n’ai pas d’explication à proposer. Ceci-dit, dans les grottes on rencontre des auteurs particulièrement habiles, qui sont un peu des génies, qui inventent des choses jamais vues avant et parfois plus après durant la préhistoire. Ils règlent des problèmes qui se sont posés aux artistes de tous les temps : représentation de l’espace, du temps, de la perspective… il y en avait qui s’attaquaient à des problèmes très professionnels.

 

La grotte Cosquer aurait été un lieu où l’on organisait des rituels plutôt qu’un lieu d’habitation. Que sait-on au juste à ce propos ?

 

Il y a beaucoup de représentations d’animaux frappés de traits, des animaux consommés : cerfs ; chevaux bouquetins… Il est clair que quelque chose concerne la chasse. Mais la grotte n’était pas un lieu de vie. Vivre dans le noir a été toujours été très difficile. Parfois ils habitaient des zones proches de l’entrée qui pouvait leur servir d’auvent ou d’abri.

 

Venons-en à la réplication de la grotte, quelles ont été les principales difficultés sur le plan technique hormis son accès sous-marin ?

 

La principale difficulté c’est la documentation. Le clone numérique de la grotte était évidemment indispensable, sans ça on n’aurait jamais pu faire la réplique. Reproduire les grottes aujourd’hui suppose que l’original soit enregistré en 3D. Personnellement, pour travailler, j’ai toujours besoin de beaucoup de photographies, du plus grand nombre d’informations possible pour savoir dans quel ordre les figures ont été faites, s’il y a d’autres traces que les dessins eux-mêmes, etc.

 

Diplômé en art graphique, responsable de la société Déco Diffusion, vous êtes intervenus sur la restitution de plusieurs panneaux. Comment avez-vous travaillé ? Quels matériaux avez-vous utilisé ?

 

La méthodologie a été mise au point pour Chauvet 2. Nous étions exactement les mêmes équipes sur les deux sites. Nous travaillons pour la réplique des panneaux en atelier avec de la résine acrylique extrêmement souple d’emploi. On peut y introduire du sable, des couleurs pour la teinter et s’approcher de très près de la matière de la paroi d’origine. Pour les dessins tout ce qui est noir a été fait au charbon de bois. Nous avons fait brûler des branches de pins sylvestres qui peuplaient autrefois les alentours. Pour la teinte des peintures nous avons utilisé des pigments naturels, pour la plupart venant de Sommières ou des carrières d’ocre des Baux-de-Provence. Nous-nous sommes rapprochés au plus près ce qui avait été utilisé dans la grotte. C’est un art essentiellement bi-chrome, noir et rouge, avec parfois un peu d’ocre jaune. Ensuite, pour fixer les couleurs ont utilise aussi la résine. Avec ces techniques et ces matériaux, la restitution est la plus conforme possible avec l’original.

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