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Avignon : Christophe Raynaud de Lage, portrait d’auteur

par Véronique Giraud
L’ŒIL PRESENT
Conception et photographies Christophe Raynaud de Lage, Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias Laurent Gachet, Scénographie Pierre-André Weitz, Vidéo Thomas Bailly, Design sonore David Gubitsch
L’ŒIL PRESENT Conception et photographies Christophe Raynaud de Lage, Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias Laurent Gachet, Scénographie Pierre-André Weitz, Vidéo Thomas Bailly, Design sonore David Gubitsch
Christope Raynaud de Lage © Guillaume Mussau
Christope Raynaud de Lage © Guillaume Mussau
L’ŒIL PRESENT
Conception et photographies Christophe Raynaud de Lage, Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias Laurent Gachet, Scénographie Pierre-André Weitz, Vidéo Thomas Bailly, Design sonore David Gubitsch
L’ŒIL PRESENT Conception et photographies Christophe Raynaud de Lage, Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias Laurent Gachet, Scénographie Pierre-André Weitz, Vidéo Thomas Bailly, Design sonore David Gubitsch
L’ŒIL PRESENT
Conception et photographies Christophe Raynaud de Lage, Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias Laurent Gachet, Scénographie Pierre-André Weitz, Vidéo Thomas Bailly, Design sonore David Gubitsch
L’ŒIL PRESENT Conception et photographies Christophe Raynaud de Lage, Commissariat d’exposition, textes, lumière, réalisation médias Laurent Gachet, Scénographie Pierre-André Weitz, Vidéo Thomas Bailly, Design sonore David Gubitsch
Arts visuels Photographie Publié le 21/07/2022
Pour Christophe Raynaud de Lage, qui présente à la Maison Jean Vilar son travail d'auteur-photographe du Festival d'Avignon, les mots comptent. Son installation "L'œil présent, au risque d'un fragment d'éternité" invite à voir ce que l'art vivant grave dans nos mémoires.

Il est là. Dans l’ombre. Les spectateurs de la générale ne soupçonnent pas sa présence dans la salle, sur scène les acteurs l’ont déjà oublié. Pourtant, Christophe Raynaud de Lage guette, son œil exercé anticipe l’effet des lumières sur les corps, cadre le rapport décor/comédiens, il se tient prêt à « photographie le festival d'Avignon au risque de l'instant suspendu » comme l'annonce justement le sous-titre de son exposition.

Cette discrète ténacité, qui ne le quitte pas depuis qu’il est photographe, tient de l’hommage au théâtre, au cirque contemporain, aux arts de la rue. Lorsqu’il était enfant à Aurillac, aucun événement ne venait bousculer son calme quotidien. Et puis soudain, en 1987, le festival s’installe dans la ville. La découverte des artistes, du nouveau cirque, du théâtre et de ses metteurs en scène est une révélation. « Je découvre la culture » dit celui qui étudiera la photographie à l’école Louis Lumière. Les histrions prennent la rue, l’animent de leur magie, irradient de liberté des moments fugitifs que Christophe ne veut pas laisser disparaître. Avec lui, l’image a sa part dans l’émotion que fait naître un spectacle. C’est cette émotion, le bonheur né de ces rencontres que, depuis, il espère capter dans son objectif.

 

En devenant photographe officiel du festival d’Avignon, il accède aux conditions optimales pour magnifier le théâtre. À son intimité. À une liberté dont il s’est « emparé » avec précaution et conscience : « Quand un comédien m’autorise à être près de lui lorsqu’il se prépare au maquillage, et qu’avant de traverser la membrane pour entrer en scène, il me laisse faire, c’est un cadeau ».

Pour sa dernière édition en tant que directeur du festival, Olivier Py lui a proposé de montrer son travail dans les salles rénovées de l’emblématique Maison Jean Vilar. Pour cette mise en lumière inédite, Christophe ne s’est pas contenté d’un accrochage de ses tirages. En collaboration avec le scénographe Pierre-André Weitz, il a conçu une installation reflétant sa démarche d’auteur et le sens qu’il donne à son travail, jusque-là uniquement partagé avec les compagnies et metteurs en scène qu’il côtoie depuis trois décennies.

Une fois foulée l’image d’un chemin de galets en deux dimensions, une fois soulevé le voile violet sur lequel une comédienne de dos fait face aux spectateurs, une multitude de petites fenêtres éclairées de ses photographies guident le visiteur dans une pénombre étudiée, l’arrêtent, l’interrogent, lui rappellent un moment vécu à Avignon. Collant à l’objet théâtre, Christophe a conçu une dramaturgie en cinq actes, avec décor, son, musique et lumière. « Tous les ingrédients du spectacle sont là ».

Il lui a fallu affronter la montagne de ses clichés, sélectionner une infime part des images des cinquante spectacles de ses 17 festivals. « Il était impossible de tout montrer. Je n’ai pas choisi mes plus belles photos, mais celles qui donnent du sens à ce que je veux raconter. C’est aussi le sens de mon travail. Lorsque je prends mes images, j’écris des phrases, j’ai des séquences. Il y a beaucoup de séquences que je n’ai jamais montrées, mais je sais que je les ai. Comme celle du palais des papes qui s’effondre dans le spectacle Le Maitre et Marguerite de Simon McBurney en 2012. »

Dans ses épreuves, on voit le spectacle se construire. Des clichés inédits, pris dans les coulisses ou sur le plateau nu, témoignent des liens qu’il noue avec les techniciens, « j’en suis un » affirme-t-il. Une photo capte les préparatifs lumière, une autre la concentration de l’acteur avant son entrée en scène. « Ce sont des moments qui me touchent. Je reste un spectateur. Privilégié, parce que je suis au plus profond de l’intimité ».

 

« Un fragment d’éternité ». « Ce sont des photos qu’on ne voit jamais, on est dans la communication, ça n’intéresse pas, les photos doivent donner envie d’aller voir le spectacle. Mais pour moi, elles sont l’histoire que je veux raconter ». À Avignon, les pièces sont jouées plusieurs fois, et les architectures dans lesquelles elles sont programmées les enveloppent de leurs formes mémorielles. Durant dix-sept festivals, Christophe s’est immergé dans les spectacles, est venu les voir et les revoir, a consacré beaucoup de temps à attendre « l'instant suspendu » qui, par la grâce d’un élément impromptu, rend vivant l’immuable. C’est dire les patientes immersions dans chacun des cinquante spectacles de chaque édition. D’en haut, du fond de la scène, dans les coulisses, au milieu des spectateurs, du haut de la machinerie, dans les sous-sols du palais des Papes, avant, pendant, après le spectacle, le photographe multiplie les points de vue afin que ses images révèlent ce qui est produit par la présence éphémère de comédiens, de techniciens, de costumiers, de spectateurs, quelque part dans la cité papale, un jour, à une heure, une minute, une seconde précises, « au risque d’un fragment d’éternité ».

 

Une lecture personnelle de l’œuvre. Le point de vue du photographe n’est pas celui du metteur en scène qui pourtant a construit une image avec décor, lumière et personnages. « J’en fais une lecture, j’aime être dans plein d’endroits. Je pourrais me mettre au troisième rang et faire une belle photo, mais ce n’est pas mon propos. Au-delà de l’image, j’essaye de transmettre quelque chose de plus fort, d’emporter l’émotion d’un spectateur ».

Mais comment saisir le moment clé ? « C’est très instinctif, et c’est une somme d’expérience. Quand je vois le décor, j’imagine comment les choses vont s’articuler. Je joue avec le décor. » Son regard est très construit. Il faut voir le bonheur qui le lie à cette photo prise pendant la représentation des Damnés de Visconti, adapté par Ivo van Hove. C’était en 2016, dans la Cour d’honneur, lorsqu’un coup de vent fit s’éparpiller les cendres contenues dans une coupe portée par un comédien. « Je ne pourrai jamais refaire cette photo. J’ai une pause très lente, du coup quand tout bouge ça fait un tourbillon. Ça me fascine. Devant la cour d’honneur, mon émotion est intacte. J’ai conscience que ça reste un défi pour le public qui fait face à un immense mur. Et pour les comédiens qui sont face au mur des spectateurs assis sur les gradins. »

L’Acte 4 de l’exposition s’intitule Réminiscences. Il donne la parole au public et aux professionnels du théâtre qui expriment ce que suggèrent une des photos choisies. Là est aussi le sens de son travail, comment le public s’approprie une image, avec le souvenir lié à un spectacle. « Ils parlent beaucoup de leurs émotions et de leur voyage avec les autres spectateurs. Ils parlent aussi des odeurs, de la terre. Ils parlent bien de leurs sensations ».

Mais l’artiste ne se revendique pas comme tel. « Les artistes sont ceux que je photographie, je me qualifie plutôt comme un auteur, pour affirmer un rapport à une écriture ». La joie du partage se lit dans les yeux de Christophe Raynaud de Lage qui, avec cette installation avignonnaise, met en images l’art vivant.

 

Une mémoire inédite pour la BnF. C’est que Christophe Raynaud de Lage a constitué un travail de mémoire du festival. Il archive, il sauvegarde, il conserve l’intégralité de ses planches contact. « J’ai tout gardé, je ne jette rien ». Cette organisation lui a valu d’intéresser ce haut lieu de la mémoire culturelle qu’est la Bibliothèque nationale de France. Il a fallu négocier, il y a tant de clichés. La BnF a rapidement vu le problème de volume que cela posait. « Notre accord pour fournir le fonds a pris des années, il s’est concrétisé seulement l’an dernier. Un terra, 20 000 photos Haute Définition par édition du festival. » 9 000 images des cinq dernières années du festival ont ainsi pu être déposées en novembre dernier. Avec une conséquence inattendue : une chercheuse américaine qui travaille sur les récurrences esthétiques dans le spectacle avait besoin de 5 000 images pour lancer l’algorithme qu’elle a mis au point. Aucune médiathèque ne pouvait fournir un tel fonds. Grâce à l’accord avec la BnF, « elle est venue me voir et je lui ai tout copié ».

 

L'œil présent, photographier le Festival d'Avignon au risuqe d'un fragment d'éternité. Une installation de Christophe Raynaud de Lage, du 7 au 26 juillet à la Maison Jean Vilar, Avignon.

 

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