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Avignon : « La Tempesta », hymne au théâtre d’Alessandro Serra

par Véronique Giraud
LA TEMPESTA, texte William Shakespeare traduit, adapté et mis en scène par Alessandro Serra © Christophe Raynaud de Lage
LA TEMPESTA, texte William Shakespeare traduit, adapté et mis en scène par Alessandro Serra © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 20/07/2022
"La Tempête" est l’une des œuvres les plus connues de William Shakespeare, et l’une de ses dernières. Dans cette réécriture, Alessandro Serra s’extasie devant le génie de l’auteur et la pertinence de cette pièce dans les temps actuels. Il la voit comme un hommage au théâtre.

Un voile couvre l’intégralité de la scène. Dessous, se devine un corps. Le voile se soulève, répandant la poussière qui le recouvrait, et la comédienne, qui se révèlera interpréter Ariel l’esprit des airs, se lève et danse. Le public voit alors une silhouette dansant sous l’eau, à l’abri de la tempête qui rugît à la surface. Une mise en scène simple, qui pourtant convainc l’audience de cet artifice. Alessandro Serra dit de Shakespeare : « Il est le seul à manifester sur scène toutes les émotions qui gouvernent les relations entre les êtres humains ».

La Tempête raconte l’histoire de personnages assoiffés de pouvoir et cherchant à s’affirmer. Le roi Prospero, trahi par son frère qui conspire avec le roi de Naples, est condamné à mort par l’eau mais sauvé par le fidèle Gonzalo qui lui offre la magie pour aide. Prospero se retrouve alors sur une île où il rencontre Caliban, qui y vit en parfaite osmose avec la nature. Il en fait son esclave. Alessandro Serra ne peut s’empêcher d’y voir une critique de la violence des Occidentaux envers les cultures et les peuples indigènes. Le metteur en scène choisit Jared McNeill, seul comédien de couleur sur scène, pour interpréter Caliban, sans doute pour renforcer le sentiment exprimé par le texte à l’égard de la colonisation. « Le génie de William Shakespeare est d’avoir su dire cela, alors même qu’il n’avait pas connaissance de cette réalité » pense Alessandro Serra.

 

L’art théâtral comme objet de la pièce. Mais si la dimension politique de la pièce est grande, le sujet ultime y reste le théâtre lui-même. Prospero semble alors être le metteur en scène dont les pouvoirs tirent les ficelles de la pièce. Cette dernière est un hymne au théâtre dont la force réside dans l’idée que des évènements surnaturels prennent place face à un public et, en utilisant des subterfuges rudimentaires, les convainc que tout ce qui se déroule sous leurs yeux fait partie de leur réalité. « La Tempête est un hommage au théâtre, rendu avec les moyens du théâtre, et qui prend toute sa force dans un moment historique où nous avons couru le risque de ne plus le retrouver ». Durant quelques années, Alessandro Serra a cessé d’utiliser la parole dans ses créations. Cela lui permit de la retrouver purifiée, et de s’en servir désormais comme d’un attribut magique. Shakespeare semble un choix évident pour retrouver la parole dans le théâtre, car toutes les indications de ses pièces se retrouvent dans le texte même. Le metteur en scène admire la façon dont la pièce peut être interprétée de mille et une manières.

L’œuvre La Tempête n’est pas exempte d’espoir, notamment grâce à Ariel, esprit de l’île que Prospero réduit également à l’esclavage mais qui est à la fin libérée, et au fameux monologue de Gonzalo qui imagine un idéal de société sans violence dans laquelle les êtres humains vivraient en symbiose avec la nature. Car c’est en réalité la nature qui gouverne, et tous les humains ne peuvent qu’obéir à ses lois. Bien que la magie fasse partie intégrante de la pièce, c’est la nature qui domine tout, entre autres représentée par Ariel qui apprend à Prospero la compassion et la puissance du pardon. C’est d’ailleurs sur cette note que s'achève la pièce, Prospero pardonnant tous ceux qui l’ont trompé, accédant ainsi à une élévation spirituelle et renonçant dorénavant à utiliser le surnaturel comme arme.

 

La Tempesta, texte de William Shakespeare. Traduction, adaptation, mise en scène, scénographie, costumes, son et lumière : Alessandro Serra. Avec : Fabio Barone, Andrea Castellano, Yincenzo Del Prete, Massimiliano Donato, Paolo Madonna, Jared Mcneill, Chiara Michelini, Maria Irene Minelli, Valerio Pietrovita, Massimiliano Poli, Marco Sgrosso, Bruno Stori. Les 17, 18, 19, 20, 22, 23 juillet, Opéra Grand Avignon.

 

Alessandro Serra fonde en 1999 la compagnie Teatropersona, avec laquelle il crée depuis ses propres spectacles, de la dramaturgie jusqu’aux décors, en passant par les costumes et les lumières. Puisant dans la pratique des arts martiaux comme dans l’étude approfondie de textes classiques et des travaux de Jerzy Grotowski, son travail lui vaut une reconnaissance internationale et de nombreux prix – tel le prestigieux prix Ubu, qui récompense en 2017 son spectacle Macbettu d’après Shakespeare.

 

 

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