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Avignon : L’adieu épistolaire d’Olivier Py

par Jacques Moulins
Olivier Py, ému, quittant le festival sous les applaudissements de Tiago Rodrigues, le 24 juillet au Cloître Saint-Louis. © Christophe Raynaud de Lage
Olivier Py, ému, quittant le festival sous les applaudissements de Tiago Rodrigues, le 24 juillet au Cloître Saint-Louis. © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 26/07/2022
Lors d’une conférence de presse chargée d’émotions, Olivier Py a fait le bilan de ses neuf années à la tête du festival d’Avignon. Et a lu une lettre aussi esthétique que politique, personnelle que sociale, à son successeur Tiago Rodrigues.

Ce ne pouvait être qu’un moment émouvant. Et ce le fut. Ce dimanche 24 juillet au matin, à deux jours du baisser de rideau du 76e festival d’Avignon, Olivier Py donnait une conférence de presse sur son bilan, neuf années à la tête du plus prestigieux festival de théâtre et d’arts vivants d’Europe. Entouré d’Agnès Troly, directrice de la programmation, et du directeur délégué Paul Rondin, Olivier Py a d’abord parlé de révolutions, celles qui ont marqué sa direction.

Mais le directeur n’a pu cacher l’artiste. Il ne s’en est pas tenu longtemps à la mesure, ni celle des chiffres, des réalisations, des nombreux succès, de la liste prestigieuse et judicieuse des artistes invités, ni celle de la bienséance que ses prédécesseurs pratiquaient dans les salons parisiens comme à Avignon. Ce n’est pas ce que l’on attendait de lui, d’autant que sa direction a su concilier dans un même applaudissement, le public, les médias et les professionnels. Olivier Py a fait du Olivier Py, laissant la place à l’écrivain avec ce verbe fou, tendance logorrhéique, dont sa pièce de dix heures jouée au Gymnase Aubanel donne si bien le ton. Dans son flot de paroles, tout est abordé dans une singulière confusion de l’émotion et de l’intelligence.

Donc, évidemment, Olivier Py avait préparé une lettre pour son successeur (téléchargeable sur le site du festival). L’émotion de celui qui n’est que théâtre, « Le Festival n’était pas un moment de ma vie, c’était ma vie » perle tout au long de cette missive qui est à la fois acte de foi dans l’art, traité d’esthétique et de politique culturelle.

 

« Garde la pureté de ton cœur. » S’abstenant de conseils, l’auteur a osé le plus simple qui, dans la bouche de tout autre, aurait passé pour grandiloquent : « Garde la pureté de ton cœur. » Face aux pressions des élus, du public, des médias, du monde du théâtre, pour faire plus populaire ou plus élitiste, plus consensuel ou plus avant-gardiste, plus progressiste ou plus conservateur « N’écoute pas la raison raisonnable et la prudence professionnelle. N’espère pas dans les stratégies politiques, ne mise rien sur l’intérêt ou la ruse. Écoute ton cœur pur ». Résumant la difficulté de ce poste que tant de grands artistes, comme Béjart ou Ariane Mnouchkine, ont préféré refuser, Olivier Py a révélé les difficultés et injustices qui accompagnent une telle responsabilité « Quand tu seras humilié par les marquis, il y aura toujours une femme de ménage pour te dire qu’il faut te reposer et prendre soin de toi. Une femme de ménage, ou un détenu, ou un adolescent, ou une spectatrice pressée. » Et reprendre le travail pour désarmer « les malveillances » et inventer « l’impossible ».

 

Un artiste directeur. La direction d’Olivier Py restera dans les annales et dans les cœurs. Faut-il le rappeler ? Le premier événement de sa double mandature fut le retour d’un artiste au poste de directeur. Le festival n’avait pas connu cela depuis le départ de Jean Vilar. Les énarques et administrateurs qui se sont succédés durant près de 45 ans reflètent sans doute cette époque où gestion et maîtrise des investissements règnent sur la vie publique. Le théâtre ayant toujours un temps d’avance, la nomination d’Olivier Py en 2014 présageait-t-elle d’une inflexion à cette politique ? L’avenir le dira. Pour ce qui est du festival, la nomination de Tiago Rodrigues, un homme de théâtre européen pour la première fois, s’ouvre sur les meilleurs augures.

De la Cour d’honneur part cette magie qui dépasse le festival et trouve dans les immeubles les plus surprenants un coin où faire théâtre en Avignon. Le festival, s’il garde sa « pureté » ne gère que lui-même et ne prétend pas régenter les scènes et les 1 540 spectacles dénombrés cette année dans le Off. Comme l’a rappelé Olivier Py dans son bilan, le festival a eu assez à faire avec lui-même. En rajeunissant encore un public trop dominé de têtes chenues. En ouvrant des espaces de libertés comme le jardin Ceccano où le curieux peut « entrer dans un jardin, comme ça, pour écouter les plus grands textes de l’humanité ». En refusant toute exclusion dans cette humanité, comme en témoigne le combat de longue haleine pour faire monter sur la scène du festival les détenus du centre pénitentiaire du Pontet, « mon plus beau souvenir » confie Olivier Py. En pensant l’humanité hors du prisme occidental par l’invitation de compagnies venues d’Afrique et d’Asie. En « menant des combats pour les angles morts de la démocratie ». En faisant du festival la base de diffusion de spectacles dans le monde entier.

Quitter cet éternel chantier quand on y a consacré près de dix ans de sa vie, n’est certainement pas simple. C’est en même temps une libération : « et je n’en aurai pas été libéré tout à fait sans la confiance que je mets en toi. » avouera Olivier Py à son successeur Tiago Rodrigues.

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