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Avignon : avec « Jogging » Hanane Hajj Ali court pour défier peurs et tabous

par Véronique Giraud
Jogging, Hanane Hajj Ali, 2022 © Marwann Tahtah
Jogging, Hanane Hajj Ali, 2022 © Marwann Tahtah
Arts vivants Performance Publié le 27/07/2022
Hanane Hajj Ali affronte les publics du Liban et du monde en se livrant à un parcours de santé qui fait surgir ses rêves et ses peurs intimes. Défiant courageusement les tabous, "Jogging" est une course contre les préjugés, contre les silences meurtriers imposés aux femmes.

Le jogging, qu'elle pratique un peu avant l’aube pour lutter contre l'ostéoporose et la dépression, et le théâtre sont les thérapies de Hanane Hajj Ali. Le premier la connecte avec Beyrouth où elle vit, le second avec le collectif. Elle a traversé les bombardements des guerres, les traumatismes de quinze ans de guerre civile, les crises politiques et économiques, les malheurs d’un peuple et les vicissitudes du pays qu’elle aime.

Dans sa course matinale, ses pensées se colorent d’érotisme, d’un Liban retrouvant sa fierté, lui inspirent le pire pour abréger les souffrances de son enfant atteint d'un très virulent cancer des os. « Tout de suite le personnage de Médée m’est venue à l’esprit. Qui pourrait être Médée dans ce Beyrouth ? Il y en a beaucoup au Liban et dans le monde de ces Médée dont l’histoire forme des tabous. » Ses pensées, ses rêves, ses désirs, les histoires d’autres femmes, d’autres mères, Hanane les a notés puis en a construit un récit qui s'empare autant de l’intime que d’une effrayante réalité que la collectivité préfère passer sous silence.

 

Mais c’était sans compter sur Hanane. En 2015, avec Abdullah Alkafri et Éric Deniaud, elle commence à construire pour le théâtre ce récit qui, parti de son fertile imaginaire, rassemble avec poésie, humour et férocité, un immense espace accueillant les curiosités de la langue arabe, les résonances de la mythologie, la souffrance viscérale des mères. Sous le titre Jogging, elle le fait voyager partout au Liban et dans le monde. Invitée pour cette 76e édition du Festival d’Avignon, Hanane Hajj Ali présente au Théâtre Benoît XII ce qui est devenu une bouleversante performance, libanaise et universelle.

Regard perçant, lèvres minces dessinant un étrange rictus, Hanane se fait tour à tour joggeuse aguerrie, femme amoureuse, mère meurtrie. Ses propres confidences la conduisent à raconter la mythique Médée, puis Yvonne et Zahra. C’est qu’entre l’amour d’une mère et l’envie de tuer ses enfants la limite peut se faire ténue. C’est qu’entre l’amour pour un homme et l’amour pour un pays l’élan se confond, se fond. Devant nous se livre et conte une citoyenne combattante, une activiste comme Hanane se définit elle-même. Chaque mot est pesé, chaque image doit faire sens. Ses jeux avec la langue arabe captent l’intelligence, marquent son ancrage dans une culture chérie, font sourire, avant que son récit ne s’aventure dans les méandres du sensible jusqu’à faire pleurer. Pour elle, le théâtre est travaillé pour être partagé avec le public. Celui des camps, celui des villes, villages et festivals de son Liban meurtri, celui des métropoles et des grands festivals d’un Occident en souffrance, celui d’Avignon qui vient chercher les mots et les rêves du théâtre pour reprendre haleine.

 

Aucun décor. Dans un écrin noir, habillée de noir, sculptée par la lumière qui illumine son visage et ses mains de conteuse, Hanane Hajj Ali prépare son corps et sa voix, puis s’engage dans une course effrénée. Elle explique son choix d'un minimalisme : « Dès le début, je voulais pouvoir prendre deux valises et aller jouer partout au Liban. » 

Femme et lionne, Hanane Hajj Ali se livre et livre combat à tous les tabous. Femme et mère, Hanane Hajj Ali se livre et offre la scène aux circonstances de l’infanticide. Femme et mère, Hanane Hajj Ali livre le parcours d’une mère de martyr et offre la scène au fils dont les mots écrits rétablissent une vérité. Hanane Hajj Ali livre son désespoir et la tragédie d’un pays qui s’autodétruit. Le sien, qu’elle chérit, et beaucoup d’autres. Elle n’épargne personne, inonde le public de son torrent de fureur et d’espoir.

 

Le théâtre, un travail collectif. Encore étudiante, Hanane s’est formée au théâtre dans la troupe Hakawati, fondée par Roger Assaf. « C’était un travail collectif. C’est là que j’ai appris à écrire, à mettre en scène. C’est la façon que je chéris le plus quand je travaille » confie-t-elle. Pour Jogging, elle a formé un petit laboratoire avec le dramaturge Abdullah Alkafri et le scénographe Éric Duniaud. Ensemble, ils ont travaillé pendant cinq ans, fait beaucoup de recherches, transformé le récit. « J'ai joué dans toutes les régions, à Tyr même. Je sais préparer le terrain, ce n’est pas facile mais je sais comment faire et, après le spectacle, j’engage toujours une discussion avec le public. Mais, une fois, j’ai été menacée de mort par une personne qui s’est levé et m’a dit : Comment osez-vous ? On ne touche pas au sacré. » Elle a joué la pièce plus de 350 fois au Liban et elle continue, tenant tête à la censure.

 

Jogging, avec Hanane Hajj Ali. Texte, conception Hanane Hajj Ali. Dramaturgie Abdullah Alkafri. Direction artistique, scénographie Éric Deniaud. Les 21, 22, 23, 24, 25, 26 juillet à 18h au Théâtre Benoît XII, Avignon.

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