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Héloïse Luzzati : « on ne nous propose jamais d’œuvres de compositrices »

par Véronique Giraud
La violoncelliste Héloise Luzzati, créatrice en 2020 du festival Un temps pour elles
© Capucine de Chocqueuse
La violoncelliste Héloise Luzzati, créatrice en 2020 du festival Un temps pour elles © Capucine de Chocqueuse
Arts vivants Musique Publié le 28/08/2022
Déplorant que les femmes compositrices ont été oubliées par l'histoire et par l'enseignement, la violoncelliste Héloïse Luzzati a décidé de changer les choses en exhumant leurs partitions et en créant un festival pour les faire jouer aux musiciens les plus fameux d'aujourd'hui. Rencontre.

Comment a débuté votre projet ?

En constatant que pendant nos études et dans les salles de concert, on ne nous propose jamais d’œuvres de compositrices. C’était très présent dans ma vie, et je me suis demandé comment faire bouger les choses. Le projet a démarré avec La boîte à pépites, sa page Facebook et sa chaîne YouTube où j’ai commencé à faire des petits documentaires sur les compositrices avec des images d’archives. Ça a plu, le projet s’est développé, on en fait maintenant des petits dessins animés qui sont super pour les enseignants. Nous avons créé un calendrier de l’Avent digital où on révèle une compositrice différente du 1er au 24 décembre, . Chaque vidéo débute par une minute où la compositrice se raconte à la première personne, suit une captation d’une de ses œuvres. Pour ce projet, nous sommes une trentaine de musiciens, différentes formations y contribuent.

Il y a aussi des documentaires animés, en collaboration avec la dessinatrice Lorène Gaydon et en partenariat avec l’orchestre national Avignon Provence. Nous n'avons réalisé que cinq épisodes, chacun demande un mois de travail. Nous en ferons cinq l’an prochain.

 

Que représente l’association Elles Women Composers créée en 2020 ?

C’est la raison sociale de toutes nos activités. Nous proposons un champ d’action à 360 degrés avec les formats variés de notre chaine vidéo pour permettre à n’importe qui, quel que soit son âge, son bagage culturel, sa connaissance de la musique, d’y accéder. Les vidéos sont assez courtes, avec une vision éducative. L’avantage des vidéos c’est qu’elles traversent les frontières, cela permet au projet d’être suivi dans d’autres pays que la France.

Les partitions de compositrices que nous proposons aux musiciens les plus prestigieux leur sont inconnues. Ils les jouent pour la première fois pour notre projet. La captation n’étant pas toujours satisfaisante, nous avons lancé le label discographique La boite à pépites, pour permettre d’aller plus loin sur une compositrice en particulier dont les œuvres n’auraient pas encore été enregistrées et donner un temps long au public pour découvrir sa musique, de chambre ou pour orchestre. Enfin, d'ici quelques mois, nous nous lancerons dans l’édition de partitions, pour permettre aux musiciens de jouer ces compositrices.

 

C’est une lourde tâche…

Nous avons trouvé les modes d’expression, après il reste une grande quantité de travail pour dénicher des compositrices dont la musique mériterait d’être mieux représentée. C’est un travail de recherche. Pour tous nos programmes, qu’il s’agisse de nos vidéos, de notre label ou de notre festival, on récupère des fonds dans des bibliothèques ou chez les descendants et on les déchiffre. Cela permet d’avoir un choix éclairé sur les œuvres qui méritent d’être mises en valeur. Ce n’est pas parce que l’œuvre est celle d’une femme qu’on va la présenter, ce serait contre-productif. La qualité prime. Plusieurs milliers de partitions sont numérisées dans mon I Pad.

 

Ces femmes ont composé, sachant qu’elles n’auraient pas une grande notoriété.

Non, pas forcément. Énormément de compositrices au XIXe siècle ont eu beaucoup de succès et de reconnaissance. Soit elles se sont plus battues, on sent parfois dans leurs écrits la pénibilité d’être une femme et de composer, beaucoup d’entre elles ont pris des pseudonymes masculins. C’est plutôt la postérité et l’histoire de la musique qui a un problème avec les compositrices. Par exemple, Louise Farrenc, à qui le dictionnaire universel promettait un très grand avenir dans l’histoire de la musique, fut, quelques années après sa mort, juste qualifiée comme professeur au conservatoire. Le mot compositrice avait disparu.

De plus, beaucoup de grands talents féminins n’ont pas autant composé que les hommes pour les raisons évidentes de vie familiale et des difficultés qu’elles rencontraient pour être jouées.

 

La difficulté se retrouve parmi les femmes peintres et écrivains…

La différence c’est que la musique nécessite un intermédiaire. La peinture on peut la regarder, le livre on peut le prendre, mais la musique il faut que quelqu’un la joue. Si une compositrice a eu de la reconnaissance c’est forcément parce qu’elle a été jouée par des gens.

 

Votre label discographique semble s’envoler vers des perspectives nouvelles…

Nous avons un gros distributeur, c’est par lui que les distributeurs étrangers se sont intéressés à La boîte aux pépites, américains. La presse à l’étranger est très gentille avec nous.

 

Le festival Un temps pour elle ?

La philosophie du festival est de confier les œuvres à de grands interprètes. Cette année, parmi la soixantaine de musiciens, il y avait Renaud Capuçon, Bertrand Chamayou, Lise Bertaud… L’idée c’est de créer des modèles. Si des grands musiciens que les jeunes admirent jouent des œuvres que ces jeunes ne connaissent pas, ils auront plus envie de se tourner vers ces œuvres. L’idée est d’irriguer le répertoire des grands par des œuvres de compositrices pour qu’eux-mêmes et d’autres les jouent dans un autre cadre.

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