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La Fiesta des Suds au premier jour de la suite de sa vie

par Pierre Magnetto
L’esplanade du J4 où trônent le MUCEM et Villa Cosquer, un cadre qui ressemble à Marseille pour la Fiesta des Suds. © Jean de Peña
L’esplanade du J4 où trônent le MUCEM et Villa Cosquer, un cadre qui ressemble à Marseille pour la Fiesta des Suds. © Jean de Peña
Arts vivants Musique Publié le 23/09/2022
Le festival de l’automne de Marseille souffle ses 30 bougies cette année. Après les deux années Covid qui ont profondément marqué le monde du spectacle vivant, la Fiesta s’interroge comme tout le monde sur son avenir. Le sens de la fête cher aux visiteurs, une programmation marquée par les musiques du Sud et la découverte d’artistes en devenir, restent les marqueurs sur lesquels mise un équipe dirigeante rajeunie.

Et voilà, cette fois ça y est, à Marseille la Fiesta des Suds va souffler ses 30 bougies du 6 au 8 octobre sur l’esplanade du J4. Une partie des événements, ceux du bout de la nuit jusqu’à 5 heures du mat’, se déroulera à l’ancien entrepôt aux épices du Dock des Suds reconverti en lieu de concerts et de manifestations culturelles. « Nous sommes le plus vieux festival généraliste de Marseille. Nous avons accompagné des générations de spectateurs. Il y a un rapport affectif très fort entre la Fiesta et le public, beaucoup de marseillaises et de marseillais ont une histoire, une anecdote à raconter à propos de la fête, c’est ce qui explique notre longévité. Ce rapport-là nous oblige. Beaucoup de choses ont changé depuis 1992. Aujourd’hui il nous faut nous réinventer », estime Olivier Rey, membre de l’équipe dirigeante et responsable presse.

Un environnement de plus en plus concurrentiel. Ce qui a profondément évolué ce sont d’abord les modes de diffusion des spectacles de musiques actuelles. Quelques grands festivals restent contrôlés par des associations, Les vieilles charrues, le Hellfest, Solidays, par exemple. Mais l’industrie du spectacle et la finance ont mis la main sur la plupart des autres, avec en particulier un géant américain, Live nation qui préside à la programmation de Rock en Seine, de Lollapalooza, de North Summer et bien d’autres événements trustant les stars en jouant à qui distribuera les plus gros cachets. Bien qu’à son corps défendant, la Fiesta des Suds évolue dans un univers de plus en plus concurrentiel. Il est sans doute révolu le temps où elle pouvait programmer Patti Smith, Marianne Faithfull, Alain Bashung, Nina Hagen, Suzanne Vega… « Pendant le Covid on entendait dire que le monde d’avant était délirant, que le monde d’après serait vertueux. En fait c’est devenu pire, les cachets des artistes ont explosé », déplore Olivier Rey.

Un modèle économique en question. Après deux années difficiles en raison de la pandémie, dont une blanche en 2020, le contexte actuel pousse l’équipe dirigeante à s’interroger sur son modèle économique et artistique. Cet été, nombre de festivals se sont retrouvés dans le rouge en raison de l’inflation des rémunérations des artistes et d’une moindre fréquentation. La Fiesta, elle, reste financée par ses propres recettes liées à la billetterie et aux ventes sur site, ainsi que par les subventions publiques. Son partenaire du premier jour, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, demeure avec une aide de 410 000 euros le premier financeur public. La ville participe plus modestement à hauteur de 50 000 euros. Il faut dire que l’état de ses finances n’est guère reluisant.

Attirer la génération Covid. « Pour nous, la vraie question du modèle économique se situe ailleurs », confie Olivier Rey. Autrement dit, ce n’est pas en participant à la surenchère que le festival marseillais de l’automne entend aller de l’avant, d’autant qu’il ne pourrait suivre. Pour la Fiesta, qui tient aussi à continuer de proposer des billets à tarifs raisonnables, la voie de passage se situe plutôt au niveau de la réaffirmation de son identité et de l’élargissement de ses propositions artistiques. Il s’agit à la fois de retrouver l’esprit pionnier qui a fait son succès tout en s’adressant à un public de jeunes, ceux qui durant ces deux dernières années ont atteint l’âge où l’on commence à sortir faire la fête, à aller aux concerts, mais qui sont restés cloîtrés devant leurs écrans en raison du confinement.

Une équipe rajeunie pour imaginer la suite. La réflexion est en cours, avec une équipe rajeunie incarnée par l’arrivée d’un nouveau directeur artistique, Frédéric André. Il a pris le relai de Bernard Aubert qui cède les rênes après trois décennies de bons et loyaux services. Son remplaçant s’est entouré d’un comité de programmation afin d’être plus en prise avec les nouvelles préoccupations des publics. « Les nouveaux venus, avec les plus anciens qui incarnent l’héritage, devront imaginer la suite. » Appuyer sur l’aspect fiesta, proposer des créations, programmer un plateau plus large mais avec moins de têtes d’affiches, introduire d’autres disciplines artistiques… les pistes de réflexion ne manquent pas.

L’Afrique en force et porteuse de sens. A partir du 6 octobre, c’est cependant une Fiesta boostée et gonflée à bloc qui est annoncée. Le J4 comprendra 3 scènes au lieu de 2, avec la venue d’une quarantaine d’artistes. Premier fait marquant, la programmation renoue avec des fondamentaux dont elle s’était un peu écartée, en invitant des artistes originaires d’Afrique et non des moindres. Des artistes qui n’ont pas forcément d’actualité en termes de promo mais qui au-delà de leur prestation artistique donnent du sens à la fête. Youssou Ndour fait partie de ceux ayant écrit les premières pages du festival. Ce n’est pas seulement un artiste de renommée internationale, mais une icône engagée dans des combats en faveur de la culture. Oumou Sangaré n’est pas simplement la diva de la musique malienne dont la voie dénonce la polygamie, l’excision ou la déforestation, c’est aussi une citoyenne africaine engagée dans la cause des femmes. Bonga, l’angolais ayant interprété Sodade avant que Cesaria Evora ne donne un retentissement mondial à la chanson, n’est pas juste un virtuose mêlant musique populaire portugaise, sonorités cap-verdiennes ou brésiliennes. Sa voix porte aussi les traces de son engagement indépendantiste contre la puissance coloniale portugaise et de ses textes « séditieux » qui lui valurent l’exil à la fin des années 1970.

Une défricheuse d’artiste en devenir. La Fiesta renoue pleinement avec l’Afrique ou plutôt, de manière plurielle, avec « les Afrique », en ouvrant ses scènes à des artistes plus jeunes, originaires d’Éthiopie, de Côte d’Ivoire, du Bénin, du Congo… et dans des registres musicaux variés. « Ce sont des musiciens qui dans leur esthétique bousculent les codes. Marseille l’africaine ce n’est pas un mythe. Faire venir ces musiciens a du sens, ils proposent des musiques souvent à l’avant-garde, loin des clichés qu’on en a en Europe et leur art est traversé par des innovations ». Ainsi, en programmant des artistes en devenir, la Fiesta des Suds reste fidèle à l’esprit pionnier qui depuis trente ans séduit le public en explorant de nouvelles musicalités.

La mosaïque hip hop. Un focus particulier est dédié au hip hop. Depuis IAM Marseille s’est imposée dans cette discipline avec de nombreux artistes marseillais. Le genre est devenu langage universel et pluriel. Georgio s’illustre par ses influences venues de la pop, du rock, de la chanson. Le franco-congolais Youssoupha enrobe son écriture de mélodies nourries au digital, aussi bien qu’aux instruments traditionnels et qu’au house-jazz sud-africain. KT Gorique, chanteuse ivoirienne vivant en Suisse puise sa musicalité à la fois dans le reggae, le courant trap et la musique africaine. Le band Hypnotic Brass Ensemble venu de Chicago et réunissant 7 frères jouant des cuivres, souffle un hip hop’n groove. Bien d’autres artistes sont à l’affiche et chacun, par son identité propre, montre combien le hip hop est devenu une mosaïque perméable à bien des influences. En présentant cette diversité, la Fiesta des Suds se veut aussi ce défricheur qu’elle n’a cessé de porter dans son ADN.

Un public multigénérationnel. Comme chaque année, une artiste féminine « charismatique » est invitée. Auteure-compositrice-interprète, Juliette Armanet brûlera les planches dès la soirée d’ouverture. La jeune femme a le vent en poupe, elle remplit les salles et si son style musical semble un peu décalé comparé au reste de la programmation, nul doute que le public lui réservera le meilleur accueil. Voilà qui complète un tableau éclectique propre au festival marseillais. Ce dernier, l’observation du public le confirme, attire un public intergénérationnel. Un marqueur fort pour les organisateurs. « Dans nos soirées il n’y a pas de thématiques séparées, ça ne sera jamais comme ça, c’est toujours très ouvert. On sait que tel public va venir voir Juliette Armanet, mais le même soir il pourra applaudir Bonga, Pongo ou encore Mobylette Sound System. C’est en croisant les esthétiques qu’on va croiser les publics, un des enjeux centraux de notre travail », conclut Olivier Rey. Tous les ingrédients semblent réunis pour réussir la fête.

Retrouvez la Fiesta des Suds 2022 (programmation, billetterie, infos pratiques)

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