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Pamela Enyonu :  » J’expérimente le féminisme du quotidien « 

par Véronique Giraud
Pamela Enyonu © Courtesy of the artist
Pamela Enyonu © Courtesy of the artist
Arts visuels Arts plastiques Publié le 28/09/2022
Artiste ougandaise, Pamela Enyonu a été sélectionnée pour exposer au salon d’art contemporain africain AKAA qui se déroule au Carreau du Temple à Paris du 21 au 23 octobre.

Quel rapport à l’art avez-vous eu dans l’enfance ?

Nous étions assez créatifs dans ma famille. Mes tantes et ma mère m’ont enseigné comment créer de mes propres mains, mon père s’y connaissait en graphic design. Je connaissais donc la création mais nous n’étions pas encouragés. Par contre, j’étais différente de mes frères et sœurs car au primaire, je devais avoir huit ans, en classe d’arts plastiques, nos professeurs ont ramené un igname – c’est une plante qui ressemble au yucca – pour qu’on le dessine. Je l’ai dessiné, c’était si simple. Je me suis dit « je pourrais faire ça toute ma vie » et, à ce moment, j’ai inconsciemment pris la décision de devenir artiste. Je suis ensuite allée en école d’art après le secondaire, j’ai passé du temps en publicité, donc généralement entourée d’artisanat qui, pour nous en Afrique, est de l’art de toute façon. On ne voit pas vraiment de différence.

 

Quel est votre processus de création ?

Il a changé au fil du temps mais, ces deux dernières années, il se forme. Je commence généralement par écrire un poème, écrire m’aide à exprimer ce que je ne peux pas dire à voix haute. Ensuite j’y réfléchis et, en partant du poème, j’obtiens des indications visuelles. Par exemple, pour une de mes œuvres, j’ai expérimenté avec des choses qui me venaient de plantes, de feuilles, de rivières, un endroit agréable et sûr. Ensuite, je passe à l’art visuel. En ce moment j’expérimente la création de mes propres surfaces en utilisant du papier. Maintenant, lorsque j’écris, je commence à faire du papier. En général, je crée un large amas de papiers avant de commencer à produire mon art visuel, les deux ne sont pas vraiment séparés. Ensuite je travaille sur des thèmes de couleurs, je traite les couleurs du fond avec entre autres de l’acrylique. Enfin je commence à vraiment dessiner et conceptualiser. C’est la façon la plus simple d’expliquer mon processus.

 

En évoquant votre art, vous parlez de re-création, de transformation…

Je suis une artiste à médium mixtes, j’aime beaucoup mélanger. Il n’y a pas d’étude préliminaire qui explique la manière dont le médium va réagir, donc quand on commence à le forger, à lui donner la forme souhaitée, on découvre aussi des choses sur nos capacités à résoudre les problèmes et sur notre patience. On apprend à se connaitre. À chaque production, on se renouvelle et on change, parce qu’on lit, on fait des recherches, on découvre des informations pour résoudre le problème auquel on fait face. Donc ce que j’entends par recréer c’est qu’à chaque création on devient une nouvelle personne. C’est ce que je ressens lorsque je travaille. Parfois, je choisis des matériaux complètement opposés et je me dis « Ok ! comment faire en sorte que ça fonctionne ? » Il faut faire beaucoup de recherches sur les matériaux et lire beaucoup. Par exemple j’enseigne et j’apprends beaucoup sur le féminisme africain. Il faut alors être capable de reconnaître : C’est l’information que je cherche, et c’est ainsi que les gens l’écrivent, et c’est comme ça qu’ils en parlent.

Instagram s’est trouvé être un média plein de ressources. Mes pages préférées en ce moment sont Nap Ministry, Black Gays, Celebro Women, History of art…

 

Comment évolue le féminisme en Ouganda ?

Rien de nouveau… Dans mon expérience, le féminisme est comme un sujet académique, quelque chose qu’on ne peut apprendre qu’à l’école, ou dans un séminaire. C’était moins accessible pour certaines femmes, selon leur choix de carrière. Dans la plupart des cas, les femmes qui y avaient accès travaillent en tant qu’avocates pour les droits humains, académiciennes en université, ou celles qui travaillent dans des ONG. Mais en tant qu’artiste, j’ai eu l’impression qu’il serait important de créer un lieu pour ce que j’appelle les féministes du quotidien. C’est un féminisme que je peux expliquer à ma mère, à ma grand-mère, à mes tantes… parce que j’ai conscience que, bien que j’aie eu une éducation assez féministe, ces femmes ne se sont jamais considérées comme féministes elles-mêmes. Mais ça ne veut pas dire que l’idéologie n’y était pas. J’expérimente le sujet et je peux faire des erreurs, mais je suis aussi avide de connaissances.

 

 

Pensez-vous qu’il existe une féminité spécifique à l’Afrique subsaharienne ?

C’est une question que l’on ne m’avait jamais posée. Je ne dirais pas universel ou spécial, je pense plutôt explorer l’espace entre les deux. Beaucoup de concepts féministes nous viennent de l’Occidnt, avec les suffragettes en Angleterre et aux États-Unis. Donc, l’ouest a commencé à donner un nom au féminisme. En grandissant, je me suis exposée aux théories féministes, et j’ai commencé à réaliser qu’il y avait des espaces entre qui devraient être un peu plus visibles. Le féminisme chez les femmes qui ont un travail confortable à Paris ou aux États-Unis n’est pas le même que celui de ma mère, qui est fermière dans mon village. Les choses qui sont importantes pour elle sont différentes. Pas trop différentes, mais dans l’approche, aucun rapport avec une avocate à haute responsabilité à New York.

 

 

Votre mère, votre grand-mère, votre tante parlent-elles de votre art avec vous ?

 

Nous trouvons une forme de guérison collective dans ces conversations. Par exemple, ma grand-mère était illettrée, elle n’a pas reçu d’éducation, tant et si bien qu’elle n’a pas pu lire la lettre qui l’a donnée à mon grand-père. Elle devait lui apporter une lettre qui disait « la femme qui t’amène cette lettre est ta femme ». Ma mère, en revanche, a eu une éduction, et un diplôme de secrétaire, mais comme elle n’a pas été diplômée de l’université, elle ne considère pas avoir reçu une bonne éducation. Donc vous voyez, les expériences et le savoir ne cessent de grandir de génération en génération. Je sais un peu plus que ma mère, qui, elle, en sait un peu plus que ma grand-mère. Et nous avons toutes ces conversations que nous appelons « ce que nous désirons et comment nous souhaitons aller de l’avant ». Nous trouvons une certaine guérison à partager les barrières que nous avons dû franchir. Je sais que c’est assez personnel, mais c’est comme ça que j’approche mon travail, j’aime partir de quelque chose de personnel.

 

 

Comment est reçu votre art en Afrique ? Par les collectionneurs ou autres amateurs ?

 

Je travaille beaucoup pour les femmes au Ouganda, mon travail est bien accueilli chez moi. Mais lorsque je partage mes expériences avec celles de personnes de différents pays, je retrouve une certaine solidarité féminine. Nous nous identifions les unes aux histoires des autres. Ce ne sont pas les mêmes expériences, mais nous avons franchi les mêmes obstacles, en tant que femme, mère, fille… Il y a une réelle camaraderie, solidarité féminine plutôt, dans le fait de partager ces expériences. Pour ce qui est des collectionneurs, je suis également très fière de voir que ce sont principalement des femmes qui achètent mes œuvres. Dans un monde qui appartient principalement aux hommes blancs hétérosexuels, je le ressens comme un pouvoir, parce qu’on nous dit sans cesse que nous devrions obéir aux fantaisies de ces hommes, et parfois c’est… enfin, vous savez de quoi je parle. j’aime savoir que les femmes s’associe à mon travail, il y a une forme de résistance dans cet espace.

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