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R.M.N., portrait d’Europe depuis la Transylvanie

par Véronique Giraud
Cristian Mungiu signe R.M.N. où, à travers les habitants d'un village de Transylvanie, il fait s'entrechoquer les maux de l'Europe. © MobraFilms
Cristian Mungiu signe R.M.N. où, à travers les habitants d'un village de Transylvanie, il fait s'entrechoquer les maux de l'Europe. © MobraFilms
Cinéma Film Publié le 15/11/2022
Sélectionné au Festival de Cannes, le dernier long-métrage de Cristian Mungiu n’a reçu aucune distinction. Pourtant "R.M.N." possède tous les ingrédients et la puissance d’un cinéma qu’on aimerait voir plus souvent. Il est en salles.

Après la Palme d'or remportée lors de sa première sélection en 2007 avec 4 mois, 3 semaines et 2 jours, magistral film sur l'avortement, après avoir remporté le prix du scénario en 2012 avec Au-delà des collines, puis celui de la mise en scène en 2016 avec Baccalauréat, le metteur en scène roumain a présenté cette année à Cannes R.M.N, un film puissant tourné en Roumanie, qui réussit à passer au scalpel son pays tout en dressant un portrait implacable et noir de l'Europe d'aujourd'hui.

Parti d’un fait divers qui a fait grand bruit en Roumanie, Cristian Mungiu transpose le drame au sein de la communauté d’un petit village de Transylvanie. Dans sa mise en scène, la dimension chorale occupe autant de place que l’incarnation des personnages de premier plan. Matthias, un Roumain ombrageux, quitte l’usine où il travaille en Allemagne après avoir donné un coup de boule à l’un de ses chefs qui l’a traité de gitan. Cette scène sera mieux comprise quelques séquences plus tard lorsque les habitants du village rappellent leur fierté d’avoir chassé les gitans. Ce n’est qu’un exemple du parti pris du réalisateur de traiter subtilement un sujet depuis la Roumanie vers le spectateur européen perdu face à ses préjugés et ses incompréhensions. C’est le tour de force que parvient à opérer Cristian Mungiu en prenant comme sujet de controverse l’emploi (mal payé) de trois travailleurs sri-lankais dans l’unique industrie du village qui produit le pain de la vallée. Ces trois ouvriers, pourtant accueillis chez l’habitant, excitent très vite la peur des villageois, puis leur colère, la violence enfin, renvoyant aux mêmes difficultés auxquels tous les pays d’Europe sont confrontés. Attisés par le populisme, le refus de l’autre et le racisme se retrouvent à table, dans l’église, dans la salle des fêtes… Au prétexte d’apaiser les esprits, on préfère voir ces étrangers quitter le village. Et la propriétaire de l’usine fait les frais de ce choix, elle qui déjà crée la suspicion en bénéficiant des subventions de l’Europe. Tandis qu’un jeune Français, membre d’une ONG qui séjourne dans le village, est venu y compter les ours. L’incongruité de sa mission, bien éloignée des préoccupations des populations, et son arrogance engendrent elles aussi l’incompréhension.

 

Entre réalité et fantastique. Au-delà de ce pan social et économique, la beauté du film repose sur sa sincérité à montrer les ressorts d’une communauté avec son histoire (dont ressort la résistance du peuple roumain face aux Mongols, aux Avars, Huns, Ottomans, Russes, Hongrois), ses langues (on y parle roumain, hongrois, allemand, anglais, français), ses religions (orthodoxe, catholique, luthérienne), ses traditions (la chasse, les masques, les déambulations mémorielles des Daces), ses moutons sources de jalousie, la rivalité entre la vallée et la montagne. Si les femmes savent imposer leur liberté à des rustres qui veulent que rien ne change et prendre leur distance avec la violence ordinaire de l’homme, elles sont toujours prêtes à se défendre. Les rapports sont râpeux, la parole est brusque, la vie n’est pas tendre, la forêt abrite les ours, les loups, les renards, le fusil est chargé.

Et puis il y a le mystère, et les silences. Plusieurs scènes interrogent, qui font référence à une culture qui nous échappe. Ainsi la toute première scène du film suit le visage d’un petit garçon, le fils de Mathias, qui sur le chemin de l’école traversant la forêt s’arrête, interdit et effrayé. Depuis, il ne parle plus. Le fantastique ouvre de belles parenthèses à une réalité bruyante, menaçante.

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