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« Aurora’s sunrise », du génocide arménien à Hollywood

par Pierre Magnetto
En taxi dans les rues de New-York, une star hollywoodienne au temps du muet. © aurora's sunrise
En taxi dans les rues de New-York, une star hollywoodienne au temps du muet. © aurora's sunrise
Aux jours heureux, la famille réunie dans sa maison de village dans l'Est de l'Anatolie. © aurora 'ssunrise
Aux jours heureux, la famille réunie dans sa maison de village dans l'Est de l'Anatolie. © aurora 'ssunrise
Aurora Mardiganian dans un entretien vidéo, Arshaluys Mardiganian jeune femme à New-York. © aurora's sunrise
Aurora Mardiganian dans un entretien vidéo, Arshaluys Mardiganian jeune femme à New-York. © aurora's sunrise
Cinéma Film Publié le 06/12/2020
Dans "Aurora’s sunrise", la réalisatrice arménienne Inna Sahakian retrace la vie incroyable de Arshaluys Mardiganian, jeune rescapée du génocide arménien de 1915, devenue star de Hollywood. Mêlant extraits du film de 1919 dans lequel elle joua son propre rôle, moments d'interviews et images d'animation, ce documentaire bouleversant bénéficie d’une diffusion plutôt discrète.

Projeté au Festival d’Annecy en juin, puis fin novembre au programme des Rencontres Femmes Films Méditerranée à Marseille, Aurora’s Sunrise sera diffusé au Forum des images à Paris le 13 décembre dans le cadre du Carrefour du cinéma d’animation. L'Arménienne Inna Sahakian, qui l'a réalisé et produit, s’est longtemps interrogée sur sa capacité à concevoir un tel film sans se laisser emporter par l’émotion provoquée par le récit tragique de la vie de son héroïne. Celle aussi née de la colère face au déni persistant de la Turquie au sujet du génocide perpétré par l’empire Ottoman en 1915 à l’encontre des populations arméniennes. Aurora’s Sunrise raconte l’histoire vraie d'Arshaluys Mardiganian, survivante de 14 ans alors que quasiment tous les membres de sa famille furent massacrés. Cette histoire, cruelle et bouleversante, est celle d’une adolescente déportée, battue, vendue, abusée, victime d’innombrables atrocités, mais qui réussit à s’enfuir et à trouver refuge aux États-Unis à l’âge de 17 ans.

 

D’Ellis Island à Hollywood. Après avoir débarqué en 1917 à Ellis Island, l’île située à l’embouchure de l’Hudson à New-York, passage obligé des migrants à l’époque, elle rencontre le journaliste Henry Louis Gates qui va devenir son tuteur et publiera sa biographie. Le livre, vendu à des milliers d’exemplaires, connaît un vif succès dans une Amérique qui s’émeut du sort réservé aux Arméniens sur la terre qui les a vus naître. Avec une industrie du cinéma en plein essor, le livre ne tarda pas à donner lieu à une superproduction hollywoodienne, Auction of soul (Âmes aux enchères), un film muet très réaliste dans lequel Arshaluys, devenue Aurora, joue son propre rôle. Le succès est encore plus retentissant que celui du livre, d’autant que la jeune femme tout juste âgée de 18 ans à la sortie du film en 1919 entreprend avec son mentor une tournée promotionnelle à travers les États-Unis.

 

Tournée américaine et gros business. Tous les soirs pendant des semaines, les projections auxquelles elle assiste font salle comble. Après le film vient toujours le moment des échanges avec le public dans lesquels elle ressasse à chaque fois la même histoire déchirante, la sienne, celle de ses parents, de ses frères et sœurs tués, des massacres auxquels elle a assisté impuissante, des violences dont elle a été victime. Comment entrer en résilience dans ces circonstances alors que la plaie est encore béante ? Un soir la jeune Arménienne s’effondre. Son tuteur la place alors dans un couvent. Après quelques mois, elle s’en échappe et trouve refuge chez une philanthrope qui l’a déjà accueillie par le passé. Ensemble, elles vont recueillir des fonds destinés à construire des orphelinats pour les enfants arméniens dans les pays où ils ont été accueillis. Arshaluys Mardiganian apprendra bientôt que, malgré son enfermement au couvent, la tournée promotionnelle du film a continué et même pris des dimensions industrielles. Gates a recruté des jeunes femmes se faisant passer pour elle, qui répondent au public à sa place à la fin du film, multipliant ainsi le nombre de projections…

 

30 millions de dollars pour les orphelins arméniens. Il lui faudra de nombreux mois et un procès pour se débarrasser de la tutelle de cet homme dont la démarche n’avait finalement rien de désintéressé. Pour autant le retentissement de son histoire aura permis de récolter 30 millions de dollars ayant financé l’ouverture de nombreux orphelinats dans le monde grâce au sillon creusé par une star hollywoodienne, elle-même tout juste sortie de l’enfance.

 

18 minutes pour faire un film. Cette histoire aurait pu tomber dans les oubliettes. Certes, la mémoire du livre persiste, mais on croyait le film à jamais disparu. C’est en faisant des recherches pour construire un sujet marquant le centenaire du génocide arménien qu’Inna Sahakian exhumera au Zoryan Institute de Toronto, organisme de bienfaisance promouvant au Canada et aux États-Unis la reconnaissance du génocide, 18 minutes de bobines enregistrées sur support VHS. S'y trouvent des extraits du film muet et noir et blanc que l'ont croyait disparu ainsi que des morceaux d’interviews d’Arshaluys Mardiganian à l’âge mûr et au crépuscule de sa vie. Pour construire son film, ces précieuses minutes n’y suffisant pas, la cinéaste a fait appel à l’animation. Des scènes les plus heureuses de l’enfance à celles les plus atroces de l’élimination des arméniens par les forces ottomanes, elle a utilisé la rotoscopie, technique consistant à tourner les plans avec des acteurs avant de dessiner sur leurs traits pour restituer l’expression des visages sans épuiser, pour les couleurs et les décors, toutes les ressources du dessin.

 

Reconnaissance et éducation pour que son peuple fasse son deuil. Le film mixe des images animées, des extraits du film de 1919 et des moments d’entretiens pour une narration linéaire et chronologique. Malgré la tragédie que fut sa vie, on y voit une vieille dame aux habits chatoyants, dont le maquillage coloré souligne le sourire et la douceur du regard. On y entend Arshaluys raconter son histoire sans pathos, évoquant son enfance heureuse avec sa famille dans son village de la province ottomane de Mamouret-Ul-Aziz, située aujourd’hui dans l’Est de l’Anatolie. Sa liberté de ton, la bienveillance dont elle a fait preuve ont particulièrement touché la réalisatrice. La détermination de la vieille dame à ne pas prôner la vengeance mais la reconnaissance et l’action éducative comme seuls chemins pour parvenir à la résilience d’un peuple qui, un siècle après les faits, n’a pu faire son deuil, lui a donné la force de faire ce film qu’elle redoutait tant de réaliser. Arshaluys Mardiganian s’est éteinte en 1994, elle avait 93 ans.

Aujourd'hui la Turquie n'a toujours pas reconnu le génocide et l'Arménie est menacée avec le soutien d'Ankara par l'Azerbaïdjan voisin.

 

Aurora’s Sunrise, film réalisé par Inna Sahakian. Projection en VF le mardi 13 décembre à 20h30 dans le cadre du Carrefour du cinéma d’animation, au Forum de l’image à Paris.

Bientôt sur Arte ? La chaîne franco-allemande, coproductrice de Aurora’s Sunrise, devrait diffuser le film. La date n’a pas encore été annoncée.

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