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Quand le cinéma s’échappe de la salle

par Véronique Giraud
Le cinéma d’art et d’essai accuse une forte baisse de ses entrées, mais il est loin d’être mort. © TreviersNAJA
Le cinéma d’art et d’essai accuse une forte baisse de ses entrées, mais il est loin d’être mort. © TreviersNAJA
Cinéma Film Publié le 09/12/2022
Quand on parle du cinéma, on distingue désormais l’œuvre de la salle obscure. Les plateformes et autres pratiques de streaming ont bouleversé un écosystème qui, jusque-là, mesurait sa fréquentation au nombre de spectateurs en salles. En 2021, ces dernières ont perdu plus de la moitié des entrées d’avant la pandémie.

Les chiffres sont sans appel : les salles obscures, en France, sont de moins en moins fréquentées. 213 millions d’entrées en 2019, près de 100 millions sur les huit premiers mois de l’année (dont 6 millions pour le seul Top Gun 2 avec Tom Cruise). Les résultats sont inquiétants. Ce n’est pas le cas pour les plateformes de streaming qui affichent de belles croissances : 10,5 millions d’abonnements pour Netflix, auxquels s’ajoutent 5 millions de non payants, 9,6 millions pour Canal+, 5,5 millions pour Disney+, 4,5 millions pour Prime Video d’Amazon. Le streaming n’explique cependant pas à lui seul la désaffection des salles. Il y a bien sûr la pandémie de Covid-19 qui a entrainé 162 jours de fermeture en 2020, 138 jours en 2021. Et la différence surprenante entre générations : tout en continuant de consommer les contenus des plateformes, les moins de 25 ans ont été les plus nombreux à revenir dans les salles depuis leur réouverture, alors que les plus de 50 ans ont perdu l’habitude de sortir. Il faut reconnaître que les films proposés à la réouverture n’ont pas eu les qualités nécessaires pour toucher le grand public. « L’année 2022 est une année pauvre en films français. Ils n’étaient pas assez bons » disait Jérôme Seydoux, président des salles Pathé, à la matinale de France Inter.

 

Le cinéma, un musée ? Certains s’inquiètent surtout d’une tendance historique qui annoncerait la fin d’un certain cinéma. « Le cinéma va devenir un musée pour les vrais films qui vont être projetés en pellicules », puis « de l’autre côté, il y aura des salles faites pour les très grands spectacles » prédisait l’acteur et réalisateur Mathieu Kassovitz en 2019. « La majeure partie du cinéma sera consommée à la maison ». Ce coup de gueule assume la cassure entre blockboosters et cinéma d’auteur.
Pour les premiers, des salles confortables, des pop-corn, un son et des images sublimes et un billet jusqu’à 14 euros. Pour le second, des lieux conviviaux Art et essai, des avant-premières, cycles et rétrospectives et un tarif deux à trois fois moins élevé. En parallèle, des dizaines de festivals de cinéma ont vu le jour en France. Au-delà de Cannes ou Deauville, ils s’organisent autour de thématiques. Cinéma méditerranéen à Montpellier, fantastique à Gérardmer, historique à Pessac, italien à Villerupt, policier à Reims… Jusqu’à Hennebont (Morbihan) où Les salles mômes a accueilli 5 000 spectateurs début novembre. Leur ADN ? Un temps limité, des découvertes, des rencontres avec réalisatrices et réalisateurs, actrices et acteurs, et surtout un moment de partage, en rupture avec le temps quotidien.

 

60% des salles classées Art et essai. Mais, pour l’instant, cette division entre deux cinémas n’est pas totale, diffusion oblige. En 2020, 1 244 salles étaient classées Art et essai par le Centre National du Cinéma (CNC), soit 60% des cinémas français, et ces salles entretiennent tout au long de l’année un lien fort avec leurs spectateurs et spectatrices. « L’Art et essai continue d’opérer sa mue, redonnant au cinéma sa dimension naturelle : collective, participative et événementielle » souligne-t-on au CNC.
Est-ce là l’avenir des salles obscures ? Le cinéma Art et essai accuse lui aussi une forte baisse de ses entrées, estimée à 40% pour l’année. Mais il est loin d’être mort, des salles ont été inaugurées entre 2019 et 2020 d’Orsay à Bédarieux. Portées par les communes ou par les bénévoles d’une association, elles abritent parfois le seul événement d’un territoire. Modeste salle d’un village de mille habitants à Entraigues (12), aménagé dans une ancienne chapelle à Apt, voire itinérant, le cinéma s’adapte aux situations et au public.

 

Une année décisive. Et ce dernier a souvent le choix, ce qui est sans doute le meilleur gage pour le futur. Le choix entre le multiplexe à la pointe du progrès technologique et la petite salle locale. Le choix surtout entre les superproductions hollywoodiennes, ou bollywoodiennes, et des films et documentaires qui nous plongent dans la réalité de sociétés occidentales de plus en plus complexes ou celle de pays privés des droits élémentaires.
Côté grandes productions, les choses peuvent encore s’améliorer sur les derniers mois de l’année, certains diffuseurs ayant préféré retarder la sortie des valeurs sûres. Le film Marvel Black Panther dépassait les 2,5 millions d’entrées en France deux semaines après sa sortie en novembre, deux films français Novembre et Simone sont entrés au club très fermé des plus de 2 millions se spectateurs, enfin l'arrivée très attendue d'Avatar 2 devrait rehausser les chiffres. La comparaison est difficile avec les plateformes, bien que Netflix publie désormais le Top 10 des visionnages par semaine et par pays. Mais sans donner de chiffres autres que mondiaux (par exemple 62 millions de vue en octobre pour Blonde, biopic de Marilyn Monroe).
En attendant les résultats, tous les spécialistes s’accordent sur un point : l’année 2022 sera décisive.

 

Plongées dans le réel. Sur le plan formel, le cinéma d’auteur a délaissé la révolution esthétique pour plonger dans le réel. Dans des sociétés occidentales de plus en plus complexes ou dans des sociétés privées de la liberté d’expression, le cinéma reste un rempart. De documentaires en adaptations de faits divers, comme le récent Saint-Omer d’Alice Diop, de scandales politiques en répressions sociales, le cinéma opère et fait opérer au spectateur un tour du monde. Pour exemples, la société pakistanaise magnifiquement dépeinte dans Joyland, premier long-métrage de Saim Sadiq, et la société iranienne habilement décryptée par Jafar Pahani dans Aucun ours. Ces réalisateurs, censurés dans leur propre pays, mettent leur talent et leur courage au service du cinéma, art populaire par excellence. Puissant reflet de la société contemporaine, le film permet d’ouvrir des fenêtres explicites, magnifiant le social par la puissance narrative, défiant la censure par l’art de composer une image. Et quand un spécialiste du 7e art ou le réalisateur lui-même reste pour échanger avec le public et répondre à ses questions, on peut vraiment parler d’expérience du cinéma.

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ENTRETIEN AVEC GUILLAUME BACHY, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE DES CINÉMAS D'ART ET D'ESSAI
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