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Mot de passe oublié ?Variations franco-japonaises autour de « La Cerisaie »
Sur un plateau nu et blanc, où s’élèvent trois fines structures métalliques, un homme est assis sur l’une d’elles et lit. Au fond, un ciel – la vidéo est réalisée par Mammar Benranou – crée une échappée mouvante, vivante, qui happe le réel. Une façon de « montrer la Cerisaie sans la représenter » commente Daniel Jeannneteau. L’homme s’est endormi, quand une jeune fille arrive silencieusement, une bougie à la main. Ils attendent. Lui, le fils de moujik devenu riche, elle la servante attentive. Puis arrive le frère, heureux du retour de sa sœur, accompagnée de sa fille et de quelques compagnons d'un voyage qui les a menés de Paris vers la propriété familiale, remarquable avec son immense cerisaie.
L’ultime chef-d’œuvre de Tchekhov, dont tant d’adaptations sont montées en France actuellement, franchit ici un pas nouveau, en réponse à la proposition de Satoshi Miyagi, directeur du théâtre de Shizuoka, le SPAC, de monter une première pièce de Tchekhov dans son théâtre au Japon. Relevant le défi, Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou ont choisi La Cerisaie pour la mettre en scène ensemble, et « proposé que ce spectacle se fasse entre la France et le Japon avec des comédiens des deux pays ». L’idée, a priori audacieuse, a produit une fusion qui va bien au-delà d’une simple collaboration entre deux cultures. La quasi abstraction du plateau laisse d'abord toute sa place au jeu – aux jeux. Évoluant dans une mise en scène méticuleusement orchestrée, les nombreux personnages se distinguent nettement les uns des autres, développant chacun une gestuelle caractéristique, un ton, une démarche, une individualité propre. Dans leurs différences, langues, pratiques de jeu, le langage des corps compose une vraie mosaïque humaine loin de se conformer à l'illusoire harmonie d'une communauté. Ce qui rend le spectacle passionnant.
Lopakhine est marqué par l’impatience de posséder, la beauté souriante de Haruyo Hayama se prête au caractère de Ranevskaïa bien au-dessus des contingences, les gesticulations de Kazunori Abe composent un Gaev fantasque et insouciant, le sérieux bourru de l’étudiant Trofimov, les allures automates du vieux valet Firs… Chacun fait vivre en son corps le théâtre des émotions. Ces individualités, nées de l’esprit de Tchekhov, sont ici proches de la figurine et servent admirablement le propos critique d’une société désarticulée, où les liens qui ont forgé la vie d’avant se défont. La situation arrange Lopakine, qui fait l’acquisition du domaine, et soulage Ranevskaïa, débarrassée d’un fardeau trop lourd à porter. Elle a fait le voyage, non pas pour regagner la possession du domaine familial mis en vente, mais pour faire ses adieux à l’enfance, à son fils qui s’est noyé dans le lac, à un monde et à des gens qu’elle ne perçoit plus que comme appartenant au passé.
La cerisaie. Création à partir des textes La Cerisaie de Anton Tchekhov. Conception et mise en scène : Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou. Avec Kazunori Abe, Solène Arbel, Axel Bogousslavsky, Yuya Daidomumon, Aurélien Estager, Haruyo Hayama, Yukio Kato, Konagaya Katsuhiko, Nathalie Kousnetzoff, Yoneji Ouchi, Philippe Smith, Sayaka Watanabe, Miyuki Yamamoto. Production : SPAC - Shizuoka.
Du 10 au 28 novembre au T2G - Gennevilliers / Du 8 au 14 décembre au théâtre des 13 Vents - Montpellier,.
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