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Lucie Campos : « Nous avons commencé 2023 dans la fragilité »

par Pierre Magnetto
Lucie Campos, la directrice de la Villa Gillet : « nous sommes heureux et fiers de présenter un très beau programme pour l’édition 2023 du festival Littérature Live ». © Bertrand Gaudillère/Villa Gillet
Lucie Campos, la directrice de la Villa Gillet : « nous sommes heureux et fiers de présenter un très beau programme pour l’édition 2023 du festival Littérature Live ». © Bertrand Gaudillère/Villa Gillet
Livre Publié le 03/05/2023
En plein exercice 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes a supprimé ses subventions à la Villa Gillet de Lyon, amputant d’un tiers le budget annuel de la maison internationale des écritures. Malgré des sacrifices mais avec de nouveaux soutiens et une grande détermination, l’équipe diminuée maintient ses principaux événements dont le festival international Littérature Live dont l’édition 2023 se déroule du 9 au 14 mai. Rencontre avec Lucie Campos, la directrice de la Villa Gillet.

Comment la Villa Gillet fait-elle face à la suppression de la subvention de la région Auvergne-Rhône-Alpes en 2022 ?

 

La Villa Gillet continue à faire ce pour quoi elle a été fondée en 1989 par la ville de Lyon et par la région : être un lieu du livre et du débat d’idées au service des auteurs du monde et des publics intéressés par la littérature, et l’un des lieux européens où se rencontrent et dialoguent les grandes voix de la scène littéraire internationale. On n’arrête pas un travail de plus de 30 ans, et les auteurs, eux, n’arrêtent pas d’écrire et de penser. Annoncé en plein exercice et sur une année déjà engagée en 2022, le retrait de la région Auvergne-Rhône-Alpes du projet a amputé la Villa d'un tiers de son budget annuel: salaires, loyer, chauffage et auteurs compris. Nous avons maintenu comme nous pouvions nos engagements de programmation en 2022 en puisant dangereusement dans la trésorerie de l’association, et recommençons cette année avec un budget très diminué. Il y a cette idée fausse que les lieux culturels auraient « fait des réserves » pendant les fermetures dues à la pandémie : pour nous, il n’en est rien, la Villa ayant maintenu l’ensemble de ses programmations et de ses engagements auprès des auteurs durant les confinements successifs.

 

Qu’est-ce qui vous fait tenir dans ces conditions ?

 

Nous avons commencé 2023 dans la fragilité et dans une situation tellement absurde qu’elle est incompréhensible pour nos partenaires : la programmation de la Villa Gillet a un rayonnement national et international, elle fait partie du calendrier des manifestations littéraires les plus prestigieuses en Europe, et elle n’est pas soutenue par sa propre collectivité territoriale - le festival d’Edimbourg est la fierté de l’Ecosse, les fêtes de San Jordi à Barcelone, la fierté de la Catalogne, mais en Auvergne-Rhône-Alpes, nous voilà orphelins de soutien, de fierté, et de politique culturelle. Ce qui nous fait tenir, c'est la conviction qu’il faut en France et en Europe des lieux de débat et de curiosité, où aller à la rencontre des auteurs et des chercheurs internationaux qui interrogent et écrivent le monde contemporain. C’est l’énergie des auteurs avec lesquels nous travaillons, qui ont tant à dire, à penser, à partager, à expérimenter. C’est l’enthousiasme et la curiosité des jeunes avec lesquels la Villa travaille beaucoup, dans tous nos programmes à destination des moins de trente ans : animateurs de webradio, modérateurs, écrivains en herbe, citoyens engagés ou simplement jeunes esprits attentifs et questionneurs.

 

Quel impact cela a-t-il sur le fonctionnement de la structure et sur l'équipe ?

 

Concrètement, l’équipe a été réduite et la programmation également. Il y a dix ans, la Villa Gillet c’était entre 15 et 20 personnes ; en 2023, 7 permanents organisent deux festivals, des résidences d’écriture et de médiation culturelle, des programmations croisées avec d’autres pays européens, et un travail quotidien avec tous les auteurs, lecteurs, libraires, éditeurs, traducteurs, médiathécaires, enseignants, formateurs, chercheurs, collégiens, lycéens, étudiants et partenaires culturels avec qui nous montons nos projets de programmation.

 

Comment faire autant avec cette réduction de l’effectif ?

 

A notre grand regret, nous ne pouvons plus travailler comme nous le faisions jusqu’à l’année dernière avec les nombreuses classes de lycées et médiathèques de la région qui étaient partenaires de nos festivals Littérature Live et Mode d’Emploi, ni prendre la route avec nos auteurs pour les amener, qui à Chamonix, qui à Roanne, qui à Lezoux, qui à Romans sur Isère. En 2022, près de 80 établissements ont été concernés par les projets d’éducation artistique et culturelle contre 45 cette année, cette dimension de notre action ayant été par le passé directement financée par la région. Nous travaillons donc autrement, et nouons de nouveaux partenariats sur d’autres territoires, avec la metropole du grand Lyon et ses nombreux collègiens et médiathécaires intéressés, avec des lycées de villes européennes partenaires en Allemagne ou en Pologne qui viendront à la rencontre des lycéens lyonnais dans le cadre de notre Bureau des idées européen, lors du festival Mode d’Emploi. De nombreux enseignants et médiathécaires de la région, subitement « coupés » de notre action dès lors que la région la considère inutile, nous écrivent pour prendre des nouvelles et c’est un crève-coeur de devoir interrompre des relations nouées parfois sur des années, d’autres tout juste écloses. L’une d’entre elles nous a écrit la semaine dernière pour nous annoncer sa mutation et se réjouir de pouvoir de nouveau travailler avec nous!

 

Qu’en est-il du projet dans ces conditions ?

 

L’impact n’est pas que budgétaire, il pèse aussi lourdement sur cet équilibre délicat qu’est une petite structure culturelle. Jeune directrice fraichement nommée fin 2019, j’ai eu à constituer une nouvelle équipe et à consolider le nouveau projet qui avait été validé pour la Villa Gillet par la Ville de Lyon, la région et la DRAC, co-présentes dans le processus de recrutement. Ce projet est celui d’une maison des écritures contemporaines au coeur de l’Europe et au service de son territoire, ceci en pleines années Covid, par-delà la tempête répétée des confinements, et en nous ajustant aux modifications complètes des comportements des publics qui sont allées de pair avec les restrictions et la récession qui ont suivi. A peine sortis de cette zone de tempête, au moment même où le projet porte ses fruits et où les écrivains, les artistes, les partenaires, et les publics se bousculent pour s’engager pleinement, avec nous, dans une nouvelle ère de la culture et du débat, voilà plus de la moitié de nos énergies de nouveau mobilisées dans une phase de transition et d’ajustement. Certes, nous aimons réfléchir à la Villa Gillet, mais nous préférerions le faire dans des conditions plus propices au vrai travail qui est le nôtre, celui de l’invention de nouveaux formats, de la réflexion pour arriver aux débats les plus pertinents, du montage de projets au plus près de ce qui intéresse nos auteurs et nos jeunes.

 

Que dire dans ce contexte du Littérature Live Festival 2023 qui s’ouvre le 9 mai ?

 

Grâce au soutien de la Ville de Lyon et de l’Etat -avec la DRAC et le Centre national du Livre - nous sommes heureux et fiers de présenter un très beau programme pour cette édition. Un programme autour de la curiosité, avec de nombreux auteurs et autrices qui viennent pour la première fois en France à la Villa Gillet, un programme prestigieux aussi où se bousculent les prix littéraires, Igiaba Scego qui vient d'être nominée au prix Strega en Italie, Maria Stepanova qui vient de recevoir le prix de la foire du livre de Leipzig en Allemagne, Natasha Brown qui vient d’être nommée parmi les vingt nouveaux auteurs de sa génération par la revue Granta au Royaume-Uni, aux côtés et en dialogue avec des auteurs et surtout beaucoup d'autrices françaises renommées comme Lola Lafon, Jakuta Alikavazovic ou Maryline Desbiolles. C’est un  programme pensé en lien avec notre époque : venus d’Ukraine, de Syrie, d’Irlande, du Sénégal, d’Allemagne, d’Argentine, autant que de Nice, de Lyon, de Marseille ou de Bordeaux, nos invités parlent du monde que nous habitons.C’est aussi un programme autour d’une expérience vivante de la littérature : en plus des grandes conversations d’écrivains chaque soirs, de nombreux formats de lectures et performance, de séance d’écoute, une scène poétique, des ateliers d’écriture sont à découvrir.

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