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Avignon : Le jardin des fantaisies de Philippe Quesne

par Véronique Giraud
LE JARDIN DES DELICES
Conception, mise en scene et scenographie Philippe Quesne, Collaboration scenographique Elodie Dauguet, Costumes Karine Marques Ferreira, Collaboration dramaturgique Eric Vautrin, Assistanat a la mise en scene Francois-Xavier Rouyer.
Avec Jean-Charles Dumay, Leo Gobin, Sebastien Jacobs, Elina Lowensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaetan Vourc'h
LE JARDIN DES DELICES Conception, mise en scene et scenographie Philippe Quesne, Collaboration scenographique Elodie Dauguet, Costumes Karine Marques Ferreira, Collaboration dramaturgique Eric Vautrin, Assistanat a la mise en scene Francois-Xavier Rouyer. Avec Jean-Charles Dumay, Leo Gobin, Sebastien Jacobs, Elina Lowensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaetan Vourc'h
Arts vivants Théâtre Publié le 13/07/2023
Dans la mouvance délicieuse et effrayante du tableau de Bosch, Philippe Quesne nous amuse, avec Le Jardin des délices, des errements d'une humanité échouée dans le paysage aride de la Carrière de Boulbon.

Pour Philippe Quesne, tout a commencé par la proposition de Tiago Rodrigues de jouer dans la Carrière de Boulbon, à une quinzaine de kilomètres d’Avignon. Fermée pendant six ans, elle redevient pour cette 77e édition l’une des scènes mythiques du festival, avec la Cour d’honneur du palais des Papes. Il n’en fallait pas plus pour enflammer l’imaginaire du metteur en scène dont la compagnie Vivarium Studio a été créée il y a vingt ans. Le plaisir des retrouvailles avec la carrière se fait sentir chez les spectateurs venus nombreux assister à la dernière création de Philippe Quesne, Le jardin des délices.

Une fois traversée une forêt, puis avoir gravi des collines verdoyantes, les spectateurs cheminent sur un sentier aux agréables senteurs, avant de voir s’élever la haute paroi ocre formant hémicycle. Cerné par l’immensité rocheuse couronnée d’une ligne de végétation, le spectateur prend une autre échelle. Lorsque résonnent les trompettes du festival, le public quitte tables et bancs et prend place sur les gradins. Devant lui, un immense plateau au sol aride, un fond de scène pierreux, donne une atmosphère de fin du monde, d’un monde, la sensation d’avoir été téléporté dans un temps et un espace non répertoriés. Tout peut arriver…

 

Un œuf géant éclos. C’est alors qu’un bus blanc surgit. Moteur arrêté, poussé par quelques personnes, il stoppe avant de disperser huit individus qui, dans le silence, vont s’appliquer à sonder le sol de ce lieu où ils ont échoué. Chapeaux de cowboys et santiags pour les uns, look des années 70 pour d’autres, ils l’examinent, avec les mains, les pieds, une pioche, une pelle. Deux d’entre eux courent alors chercher un œuf géant dont une extrémité est ouverte, laissant penser qu’un grand oiseau en est sorti. Porté puis posé avec soin en un endroit éclairé par les phares du véhicule, l’œuf va devenir objet de cérémonie. Autour de lui se forme un cercle, chacun se recueille puis sort un instrument de musique. La ronde musicale s’achève par un hommage que chacun rend à cet œuf géant, semblable à celui peint par Jérôme Bosch. C’est que le titre du spectacle évoque bien sûr le fameux triptyque du peintre flamand. Entre les deux panneaux du paradis et de l’enfer, l’artiste a créé une scène foisonnante où des humains et d’étranges créatures se livrent à de non moins étranges occupations. L’œuvre du XVe siècle interroge toujours les historiens de l’art, et les divise quant à son interprétation. Elle opère toujours sur l’imaginaire, bien que son mystère demeure.

 

Le parti d'en rire. Les valises sont descendues du bus, des chaises disposées, tous s’assoient autour d’un animateur dont la voix douce tente d’opérer l’apaisement, la cohésion, un semblant d’organisation. Très vite, ses propositions ponctuées par un « Tout le monde est d’accord ? » sèment le trouble dans les esprits. Chacun s’exprime, ou le tente, à travers un poème, une lecture, une réflexion, des questions. Comme celles d’une femme, sa feuille papier en main : « Les chauve-souris savent qu’elles ne sont pas des oiseaux, alors pourquoi continuent-elles à voler ? » ou encore « Les cannibales ont-ils des cimetières ? » Se laisser porter par l’absurde, le dérisoire, la vacuité. On rit. Mais de qui rit-on ? N’est-ce pas de notre propre tentative de faire société malgré tout et tous, alors que le monde brûle, que les humains s’entredéchirent, que notre environnement s’asphyxie et que les guerres s’éternisent ? Philippe Quesne prend le parti d’en rire et on lui sait gré de cette performance rare aujourd’hui.

 

Confusion, dérision. Le metteur en scène nous offre un voyage intergalactique dans la confusion où l’homme sait souvent se fourvoyer. Il nous offre de construire des images mentales avec ses comédiens de BD, tous magnifiques. Les allusions se suivent, l’illusion aussi. On n’est pas étonné de voir voler des squelettes, s’afficher en grands caractères gothiques « Le jardin des délices », danser un homme en combinaison moulante rouge entre deux coquilles de moule, attaquer le sol au marteau piqueur tandis que quelqu’un déclame un poème de L’Enfer de Dante, qu’un autre réclame : " On peut couper les grillons s'il-vous- plaît ! " et que quelqu’un se précipite dans le bus pour arrêter l’enregistrement. Confusion, dérision, le public est à la fois spectateur et interrogé dans sa propre humanité par le portrait qu’en fait Philippe Quesne. Le voyage prend fin. Lorsque la lumière s’éteint, on se sent soulagé. Soulagé que cela fut encore possible de penser en dehors du réel, de s’écarter des atermoiements stériles du monde. De rêver tout simplement.

 

Le jardin des délices, Conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne. Avec Jean-Charles Dumay, Leo Gobin, Sebastien Jacobs, Elina Lowensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaetan Vourc'h. Du 6 au 18 juillet, Carrière Boulbon.

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