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« Oiseau » : la mort sur un plateau

par Véronique Giraud
Une scène de Oiseau, pièce écrite et mise en scène par Anna Nozière © Christophe Raynaud de Lage
Une scène de Oiseau, pièce écrite et mise en scène par Anna Nozière © Christophe Raynaud de Lage
La préparation du spectacle Oiseau s'est faite avec de nombreux complices, dont des enfants qu'Anna Nozière a filmés. © Isol Buffy
La préparation du spectacle Oiseau s'est faite avec de nombreux complices, dont des enfants qu'Anna Nozière a filmés. © Isol Buffy
Arts vivants Théâtre Publié le 23/11/2023
Anna Nozière navigue depuis longtemps dans la représentation de l’enfance et des tabous qui maintiennent à distance les plus petits. Avec Oiseau, deuxième acte d'un dyptique traitant du rapport de notre société avec les morts, l’autrice et metteure en scène livre au Théâtre Olympia de Tours un moment rare et précieux de confiance dans l’enfant.

La mort est devenue un événement intime, secret, dont on écarte les enfants pour leur « épargner » la vue d’un cadavre et le rassemblement familial au cimetière. La mort est donc réservée aux adultes ? Pourtant les films, les jeux vidéo dont sont abreuvées les jeunes générations regorgent de tueries violentes. Mais le mot mort lui-même est rarement employé pour désigner celle de nos proches. On parle de départ, de disparition, voire on ne parle pas. Or l’enfant qui perd son parent, son animal de compagnie éprouve ce qu’est la mort. " J'avais en tête que, chez nous, parler de la mort manquait cruellement, explique l'autrice aux enfants venus lui poser leurs questions à la fin de la représentation. J'ai écrit pour combler un manque. Je me suis plus connectée au manque qu'à ce qui existe. Chez nous la mort n'existe pas ".

Ce sont ces paradoxes contemporains de ce lourd silence, quand la communication est devenue la valeur suprême de notre lien social, qui animent Anna Nozière et lui donnent envie de casser le vernis. D'interroger les enfants et l'enfant qui est en elle, puis de composer avec ces sentiments, ces expériences de silences imposés, pour mieux célébrer les beautés de l'imaginaire. Non pas sous la forme d’un conte, mais les deux pieds dans le monde d’aujourd’hui.

 

De quoi jeter le trouble. Sur le plateau du Théâtre Olympia, les éléments éparpillés du décor égrainent l’idée d’une salle de classe. Si la pièce Oiseau, est ancré dans cet univers, avec une directrice pot de colle, des enseignants pressés, un gardien sourcilleux du règlement, cela ne doit rien au hasard. C'est qu'Anna Nozière, qui a écrit le texte et le met en scène, n’a pas gardé le meilleur souvenir de ses années d’école. Cela résonne et vrille de toutes parts dans la pièce qu’elle présente à Tours du 22 au 25 novembre. Une pièce où enfants et morts ont le premier rôle… De quoi jeter le trouble.

Mais justement le trouble de la mort n’est-il pas un sujet en soi ? Et pourquoi ne l’est-il pas quand les adultes s’en emparent ? Le silence, voire l’emploi d’une langue étrangère dans la pièce, sont des subterfuges pour ne pas évoquer le défunt avec ou devant les enfants. Un sujet aussi grave évacué ? Il n’en faut pas davantage pour aiguiser l’imaginaire d’Anna qui, avec Oiseau, laisse les enfants s'emparer du sujet. Et du coup tout devient drôle, léger, aventureux. Les univers où vivent les défunts s’ouvrent à eux, un dialogue est rendu possible, la relation se poursuit. Après la mort, la question existentielle trouve ici des réponses étonnantes, sensibles, réparatrices.

 

Un oiseau au col rouge. Puisque le sujet de la mort semble déranger les enseignants et sortir du programme scolaire, une société enfantine prend forme, donne toute leur place aux morts, parvient même à leur rendre visite. Alors que Mustafa vient de perdre son père et que Pamela pleure la mort de son chien, c’est la petite (elle est en CP) Samantha qui organise les voyages dans l’au-delà. Les lieux de l’école, cantine, placard à balais, salle de classe se ferment à eux ? Qu’à cela ne tienne, les interdictions ne font que renforcer le pouvoir de l’imaginaire. Et les enfants parviennent à leurs fins, déployant des trésors d’attention à un oiseau au col rouge, la couleur même du pull du père de Mustafa sur la photo, qui entre par la fenêtre de la classe. Le réconfort est là, la mort devient proche et mesurable.

Anna Nozière a passé quatre ans à cerner le sujet. Quatre ans de recherches pour in fine tisser des liens entre les morts et les vivants, et en composer deux spectacles, d’abord Esprits, et aujourd’hui Oiseau. Deux textes magnifiques qui ont reçu le Prix PlatO des écritures jeunesse 2021 et sont publiés aux éditions Théâtrales.

 

Oiseau, texte, adaptation et mise en scène d'Anna Nozière - Cie La Polka. Avec Kate France Sofia Hisborn. À partir de 9 ans.

Théâtre Olympia - CDN de Tours, 7 rue de Lucé. Le 23 novembre : scolaire à 14h et tout public à 19h ; le 24 : scolaire à 11h et 14h ; le 25 : tout public à 15h.

En tournée : Théâtre Epidaure de BOULOIRE (72) le 1er décembre ; L'Espal, Scène nationale du Mans (72) les 4 et 5 décembre ; Espace Culturel Scélia de Sargé-Lès-Le-Mans (72) le 8 décembre ; Espace Saugonna de Mamers (72) le 12 décembre ; L'Alambik au Mans (72) le 15 décembre ; L’Archipel - Festival Théâtre à tout âge au Fouesnant (29) les 18 et 19 décembre ; Théâtre National de Bordeaux (33) du 9 au 13 janvier 2024. Pour les dates suivantes, consulter La Polka

 

 

 

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