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Culture Commune met le feu au bassin minier

par Véronique Giraud
Doedle ©Rivaud/NAJA
Doedle ©Rivaud/NAJA
Hors-Champs Société Publié le 14/12/2023
Plutôt qu’un énième lieu culturel sur le bassin minier de Lens-Liévin et de l’Artois, Culture Commune a préféré créer un mode opératoire itinérant, labellisé scène nationale, avec pour temps fort un festival des arts et du feu qui privilégie la co-construction.

À Lens, Loos-en-Gohelle, Liévin et les 36 communes qui composent l’agglomération, l’extraction minière a forgé les corps, les esprits, les paysages et les rites culturels, gravant dans les mémoires familiales une histoire commune. Mais depuis la fermeture des mines de charbon en 1986, à l’ombre immense des terrils, les machines se sont tues et habitants et habitantes ont peu à peu perdu le sens de ce qui les unissait. Quand, le 4 décembre 2012, le Louvre-Lens a installé ses parois de verre et sa Galerie du Temps en lieu et place d’un carreau minier, ils n’étaient plus qu’une poignée à célébrer la Sainte-Barbe, patronne des mineurs, des artificiers et des sapeurs pompiers. Sophie Wilhem est venue diriger l’office de tourisme en 2018, c’est aussi l’année où Laurent Coutouly est arrivé à Culture Commune avec la mission de revivifier ce territoire en perte de sens par une action culturelle. L’agglo et son office de tourisme ont voulu tout de suite marquer les esprits par une manifestation d’ampleur. « C’était un peu tôt mais ça a permis d’envisager une aventure commune et de faire émerger le projet artistique d’un festival » commente Laurent, où fanfare et chorale perdurent.

Culture Commune est née en 1990, au moment où fermait la dernière mine du territoire métropolitain de l’Artois, pour porter le projet d’un développement culturel autour de l’après-minier dans les trois communautés d’agglomération. « Il y a eu des spectacles, des résidences artistiques, puis cela s’est étiolé. Il faut dire que quand la mine a fermé, plein de choses ont fermé en même temps. Tout était intégré. La situation était de plus en plus complexe » ajoute Laurent. Près de trente ans plus tard, Culture Commune lance une manifestation voulue fédérative et itinérante, le Festival de la Sainte Barbe, un festival des arts et du feu qui a ranimé la flamme de la communauté d'agglomération Lens-Liévin.

 

La fête des arts et du feu. L’association a désormais établi son QG à Loos-en-Gohelle, sur la base 11/19, du numéro de deux anciens puits, l’un des lieux emblématiques du Bassin minier du Pas-de-Calais que l’Unesco a inscrit voici dix ans sur la liste du patrimoine mondial. Les bureaux de Culture Commune occupent l’ancienne salle des pendus, un bâtiment aux proportions de cathédrale rebaptisé La Fabrique Théâtrale. Une partie a été aménagée en plateau avec gradins. C’est là que les compagnies accueillies en résidence répètent ou créent, là aussi que quelques spectacles sont présentés. Mais le lieu est également ouvert à toutes celles et ceux qui veulent y travailler ou se former. Les deux terrils du 11/19, ses immenses bâtiments, son chevalement haut de 45 mètres, ses espaces pavés, sa cité attenante, sont bien entendu aussi le cadre de plusieurs temps forts du festival de la Sainte Barbe qui se tient fin novembre.

Durant l’année, des compagnies de cirque, de danse, de théâtre pour les jeunes comme pour les adultes sont invitées à se produire sur une quinzaine de lieux, de Béthune à Hénin-Beaumont. Un appel à projets permet de faire émerger des initiatives locales, comme un atelier en classe animé par des artistes, et se terminant par une exposition lors du festival. « L’appel à projets est assez large, explique Sophie Wilhem, mais il cadre avec les grandes lignes artistiques de la manifestation qui sont : le feu, la détonation, la lumière. Et bien sûr la question du patrimoine minier dans son acceptation large. »

 

Les arts du feu, une discipline peu connue. En dehors des feux d’artifice, les arts du feu sont peu connus. Leur champ est pourtant bien plus étendu que cela et Culture Commune a l’ambition d'en fédérer les compagnies et les artistes, et de les accompagner pour encourager leur inventivité. Le Festival de la Sainte-Barbe en est un moment fort : « Il s’agit de plus en plus de créations car il n’y a pas tant d’artistes du feu et de compagnies référentes dans le domaine de la pyrotechnie, explique Laurent Coutouly. Nous invitons les artistes et les compagnies et nous leur proposons de revenir pour inscrire leurs créations dans la durée. Nous avons commencé avec La Machine en 2019, Carabosse et Doedel l’an dernier et cette année, et Titanos (notre photo) qui reviendra. Nous expérimentons avec les compagnies pour qu’elles viennent participer plusieurs saisons. On essaie de créer une communauté de compagnies ».

 

Pour sa sixième édition, le festival accueille la compagnie hollandaise Far Doedel qui évolue en une puissante cérémonie du feu, tandis que, de part et d’autre du carreau, les étranges machines de feu de Titanos attirent les habitants qui les encerclent pour se réchauffer devant le spectacle des flammes qui dansent dans des braséros forgés, avant d’assister à un concert enflammé. Ce soir du 2 décembre, quatre personnes porteront Sainte Barbe vers les terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle. Une procession se formera depuis la fosse où la fanfare joue et accompagne une chorale qui entonne les chants de la mine, jusqu’au sommet du plus haut terril. La nuit est noire, tout comme la haute silhouette des terrils qui entravent la vue lointaine de la ville éclairée, les habitués sont équipés de lampes frontales. Puis c’est la descente, et la file se répand vers le site où circulent des compagnies, alors que les frites crépitent et que la bière mousse. Tout cela paraît acté, le public est nombreux. Ce n’est pourtant que la 6eme édition de ce festival et pour la mettre en place il aura fallu des mois de réflexion, de concertation pour configurer un événement qui doit s’inscrire « dans une forme de tradition et dans la découverte d’une créativité esthétique de haut niveau ». Si la pyrotechnie est parvenue au rang d’art avec les créations du Groupe F, qui a acquis une renommée internationale, on sait encore peu des compagnies qui la pratiquent et la renouvellent. C’est là où le festival de Lens-Liévin est en passe de devenir une référence, se faisant l’expérimentateur d’une discipline guidée par l’attrait du feu et sa maîtrise. Sa maîtrise car les numéros prennent possession d’un lieu hautement inflammable où les sapeurs-pompiers ont eu fort à faire du temps de l’activité du bassin minier. Veiller à la sécurité du site et du public va de pair avec la maîtrise de la propagation des feux par les compagnies. C’est l’ADN d’une manifestation ancrée dans son histoire, qui puise à la fois dans la réalité et dans la mémoire pour « mieux impulser de nouveaux champs de possibles » espère le directeur de Culture Commune.

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