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Longwy, Carole Thibaut au pays des pères

par Véronique Giraud
Carole Thibaut conférencière de l'intime avec Longwy-Texas © Christophe Raynaud de Lage
Carole Thibaut conférencière de l'intime avec Longwy-Texas © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Performance Publié le 05/03/2024
Avec "Longwy-Texas", la directrice du théâtre des îlets de Montluçon interroge à travers sa propre expérience la toute-puissance de l’homme, des pères, dans un monde sidérurgiste en extinction.

Se souvient-on de Longwy ? La cité fut longtemps une fierté nationale de la sidérurgie avec ses hauts fourneaux dessinant son paysage depuis 1918 et 1929. Carole Thibaut, qui y a passé ses premières années, réveille ce passé à travers ses propres yeux et surtout à travers ceux de ses père, grand-père, arrière-grand-père, qui travaillèrent à la fonderie. Elle réveille du même coup la morale de la petite fille qu’elle était, une morale construite à l’ombre de son ingénieur de père.

À rebours de ce que font craindre les premières phrases situant le contexte, Longwy-Texas n’est pas un documentaire sur scène mais une conférence performance où l’autrice interroge sa propre vie au regard d’une société et d’une vie quotidienne fermement structurées autour de l’homme sidérurgiste. De là nait la dramaturgie. Une dramaturgie si bien servie par l’écriture, faisant défiler les ans, les photographies familiales et autres archives. Point de nostalgie pour l’immense fonderie que les hommes ont démolie avant de l’enfouir sous le gazon d’un golf. Un golf à Longwy ! L’idée est folle ! Aussi folle qu’être une femme à Longwy. La plupart du temps mise à l’écart de ce monde d’hommes, du cadre à l’ouvrier. La fierté des hommes pour « leur » usine se heurte à la quête de la petite fille guettant avidement le regard et la considération d’un père. La femme, devenue cinquantenaire, partage aujourd’hui les petites légendes personnelles qu’elle a forgées, sans ce regard, au pays des pères. Attisant son imagination, jusqu’à lui donner l’impérieux désir de faire de la scène son monde idéal.

 

Conférencière de l'intime. En faisant revivre ses années 70-80, Carole Thibaut ravive la mémoire d’une condition ouvrière, celle des métallos de Longwy, disparues à coups de dynamite au profit d’une société consumériste où le loisir tient une grande place. Elle fait resurgir le plat en émaux de Longwy, resté quarante ans sur une étagère de la cuisine familiale, sur lequel est écrit : « Longwy vivra ».

Les symboles sont forts, l’écriture les aborde avec grâce et simplicité, sans rature ni afflux d’adjectifs. L’ironie et la cruauté sont sous-tendues, maintenues par le « respect » de sa « bonne éducation ». L’autrice pose ses mots sur un monde où elle cherche sa place, elle scrute une époque qui ne faisait pas grand cas de sa personne. Être fille, être femme c’était ne pas froisser le père, ne pas le fatiguer après sa journée de labeur. Carole Thibaut se fait conférencière de l’intime et si le récit qu’elle délivre a le ton de la fable, il touche au plus profond de chacune et de chacun.

 

La force du combat. Le sentiment de la perte, de la disparition d’un peuple laborieux. De la révolte de ce dernier qui, en 1979, alors qu’a été décidé l’arrêt des deux hauts fourneaux de la Chiers, dynamités sous les yeux des sidérurgistes, reste une chanson de 1977, Le chiffon rouge, choisie comme indicatif par la radio Lorraine cœur d'acier. On comprend alors que, bien malgré elle, Carole Thibaut a retiré de cette mémoire la force du combat et un amour pour les villes mélancoliques. Ironie du destin, elle est devenue en 2016 directrice du théâtre des Îlets à Montluçon qui, elle l’apprend en s’y installant, a été aménagé dans l’un des bâtiments d’une ancienne forge.

 

Longwy-Texas, conception et interprétation Carole Thibaut. Régie générale Patrice Gelmi. Du 4 au 6 mars 2024, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, 75011 Paris.

Production du Théâtre des Îlets - CDN de Montluçon, en coréalisation avec Le Carreau – Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan. La pièce a vu le jour en février 2016 à Forbach, marquant le début d’un cycle d’histoires intitulé « Les filles de l’industrie ».

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