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Une Bérénice à la gloire d’Isabelle Huppert

par Élisabeth Pan
Isabelle Huppert incarne Bérénice dans une mise en scène de Romeo Castellucci © Jean-Michel Blasco
Isabelle Huppert incarne Bérénice dans une mise en scène de Romeo Castellucci © Jean-Michel Blasco
Arts vivants Théâtre Publié le 25/02/2024
Coproduite par la Cité européenne du Théâtre de Montpellier, Bérénice de Racine, mise en scène par Romeo Castellucci, renverse les codes jusqu’à la controverse pour l’admiration de l'actrice Isabelle Huppert.

Romeo Castellucci est connu pour son théâtre fait d’images riches qui incorporent musiques, sculptures, peinture et parfois même architecture. S’attaquant à un texte classique, il n’hésite pas à radicaliser sa mise en scène au profit d’une tension principale qui réduit sans doute les harmoniques, et gomme parfois l’altérité. Bérénice, créée au Domaine d’O de Montpellier avant trois semaines de représentations à Paris, en est un exemple frappant. Isabelle Huppert est seule sur scène à avoir droit à la parole, ses interlocuteurs, présents mais muets, ne s’exprimant que par sur-titres.

Estimant que l’action est quasi inexistante dans la pièce de Racine, Castellucci axe sa grande technicité de la mise en scène sur les émotions du personnage. « La force que l’on ressent avant tout dans cette pièce est celle d’un frein. Tout est tenu, ou retenu » estime-t-il. Cette tragédie statique, dans laquelle les mots sont plus présents que les actions, rappelle un personnage de William Shakespeare, Hamlet. « Tous les personnages à la fin prennent congé sans verser une seule goutte de sang : l’hémorragie est interne » admire Castellucci.

Pour une telle ambition, il fallait bien entendu une actrice hors-pair, qui d’ailleurs n’est pas étrangère au choix de la pièce. D’Isabelle Huppert, Romeo Castellucci dit qu’elle « est le théâtre ».

 

Isabelle. Les autres acteurs privés de parole, Isabelle Huppert concentre toute la dramaturgie sur sa personne. Sans doute pour relativiser cette sorte de monologue, Castellucci a voulu que la parole soit distordue. Il est assisté pour cela par le compositeur Scott Gibbons, avec qui il collabore depuis 1998, qui a travaillé la voix de la comédienne, lui donnant des échos et autres sons d’auto-tune qui rendent un effet métallique. Né aux États-Unis, le musicien est une figure de proue du dark ambient et de la micromusique. Il est célèbre pour ses musiques de feux d’artifice, de l’inauguration du Louvre Abou Dabi et de la célébration du 120e anniversaire de la Tour Eiffel, pour laquelle il se servit des sons de la tour elle-même.

Le spectacle est également composé de moments dénués de texte, à l’instar des scènes chorégraphiées de Titus, qu’interprète Cheikh Kébé, et d’Antiochus, joué par Giovanni Manzo, accompagnés de sénateurs romains. Afin que tout tourne autour de Bérénice, Isabelle Huppert, seule en scène, dialogue avec les sur-titres. Castellucci met ainsi en avant celle qu’il considère comme « l’actrice définitive » et admire comme « une représentation en tant que telle ». Les lumières elles-mêmes se plient aux ressentis du personnage, changeant de couleurs selon son état émotionnel. Les costumes suivent également l’évolution sentimentale de Bérénice, Isabelle Huppert changeant de robe chaque fois qu’elle sort de scène. Trois robes, créées par la styliste néerlandaise Iris van Herpen dont les créations font actuellement l'objet d'une exposition au musée des arts décoratifs de Paris. Castellucci considère que le personnage n’apparaît vraiment que lorsqu’il sort de scène, ce qui explique sa mise en scène d’une sortie finale des plus marquantes, laissant à Isabelle Huppert la liberté de prendre son temps sur scène, pour les adieux de Bérénice.

 

L’art de la controverse. Avec Bérénice, Romeo Castellucci propose comme un catalogue des arts de la mise en scène. Son utilisation d’effets nombreux et variés n’a pas totalement séduit le public, les huées se mêlant aux applaudissements, ce qui n’est pas forcément pour déplaire à l’artiste. Les seconds l’ont néanmoins emporté par trois rappels.

Il n’en reste pas moins que la pièce est réservée à un public averti. Les spectateurs qui n’étaient pas familiers de l’œuvre de Racine ont pu être perdus dans cette mise en scène qui se concentre plus sur l’actrice principale que sur le texte. Il n’est pas certain qu’une telle interprétation ait ouvert les portes du genre dramatique aux nouvelles générations, ainsi qu’à ceux qui découvrent le théâtre. On peut en effet se sentir écarté par un parti pris aussi fort qui oblige à connaître déjà l’œuvre. Le metteur en scène choisit de relever le défi d’un auteur chez qui le verbe compte tant, en exhortant la capacité des classiques à rester actuels avant de s’asseoir dans les gradins. Mais Castellucci ne préfère-t-il pas la controverse ?

 

Bérénice de Jean Racine. Mise en scène de Romeo Castellucci avec Isabelle Huppert. Création mondiale au Domaine d’O de Montpellier du 23 au 25 février. Au Théâtre de la Ville à Paris du 5 au 28 mars, puis en Italie, au Luxembourg, en Belgique et en Espagne, avant de revenir en France, à Clermont-Ferrand, du 10 au 12 janvier 2025 et, après un bref retour en Italie, du 15 au 17 mai à Rennes.

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