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À Noirlac, RésoNance invite à l’écoute d’une abbaye

par Véronique Giraud
Dans l'église abbatiale de Noirlac. DR
Dans l'église abbatiale de Noirlac. DR
Dans le cellier des convers, un film retrace l'histoire de l'abbaye. DR
Dans le cellier des convers, un film retrace l'histoire de l'abbaye. DR
Les sons de la nature immergent le dortoir des moines convers. DR
Les sons de la nature immergent le dortoir des moines convers. DR
.'écoute dans le dortoir des moines. DR
.'écoute dans le dortoir des moines. DR
Hors-Champs Croisement Publié le 23/04/2024
À quelques encablures de la borne du centre de la France, en plein bocage, l’abbaye de Noirlac a retrouvé sa raison d’être. Devenue centre culturel de rencontre, s’y entremêlent les sons de la nature aux inventions musicales d’aujourd’hui. Pour écouter l’abbaye et la faire entendre au public depuis le 6 avril.

Quel lien avons-nous encore avec le silence ? Avec l’écoute ? Ce lien s’est-il évaporé dans la cacophonie ambiante et numérique de nos sociétés ? À mi-distance entre Vierzon et Bourges, l’abbaye de Noirlac est devenue un lieu qui œuvre à préserver leur mémoire tout en les renouvelant. Délivrée des ambitions rétrogrades de son fondateur Bernard de Clairvaux, laudateur du dogme, l’abbaye cistercienne est rendue à sa pureté de sa matière, la pierre, et de son acoustique exceptionnelle. Elle est l’une des mieux conservées d’Europe, aucun tableau n’a jamais fait diversion sur les murs qui ont seulement recueilli les prières et le foulement des pas des moines qui y vécurent dans l’austérité.

Devenue en 2008 centre culturel de rencontre, l’abbaye de Noirlac rénovée offrait le champ libre à la création, à l’invention de sons propices à l’écoute. C’est en se plongeant dans ses origines, dans sa longue histoire, qu'un projet, RésoNance, a pu émerger et convoquer des artistes singuliers pour à nouveau faire vibrer le site. À la fois hors du temps et en résonance avec nos désirs enfouis de nature. Le parcours sonore s'est ouvert le 6 avril dernier au public.

 

L'esprit du lieu. Construite à partir de 1150 par quelques moines venus de Clairvaux, l’ensemble abbatial a été conçu pour l'observance rigoureuse du silence et de l'écoute imposée par la règle de Saint-Benoît. « L’ouïe tient du mérite et la vue de la récompense » disait Bernard de Clairvaux. Tout entiers absorbés par la prière, les moines avaient délégué les travaux ménagers et agricoles à des moines paysans, les convers. Les salles avaient des fonctions bien établies, l’église abbatiale bien sûr, puis la salle capitulaire, le chauffoir à l’unique cheminée, le dortoir des moines, le dortoir des convers, le réfectoire, le cellier, et, à l’extérieur, le jardin du cloître et les terres du domaine. Après la Révolution, l’abbaye abrite une manufacture de porcelaine, ce dont s'offusquera l'inspecteur des Monuments historiques, Prosper Mérimée, puis des militaires, des femmes et enfants fuyant l’Espagne de Franco et enfin un hospice. Aujourd’hui, après la restauration dirigée par son propriétaire, le Conseil départemental du Cher, l'architecture a retrouvé sa splendeur austère et son silence.

 

Partitions de sons. Au XXIe siècle l’abbaye devienne centre culturel de rencontre, mais le projet ne se tourne pas vers la musique mais vers les sons. Et l’écoute, puisque le lieu devait s’ouvrir au grand public. C’est donc avec les oreilles et la mémoire des lieux que chaque espace a été scruté. Entre l’acoustique peu réverbérante du dortoir des convers à la superbe charpente en bois et celle, très dure, du dortoir des moines cloisonné au XVIIe siècle en cellules puis en chambres confortables, l’imaginaire a fait son travail. Entre le vaste réfectoire où la lecture recto tono (sur une note unique) d’ouvrages pieux rythmait les repas pris en silence et le chauffoir aux grandes fenêtres où les moines venaient se réchauffer entre deux offices, écrire et s’appliquer à des tâches ménagères, la mémoire des sons en a suscité d’autres. Réalisées avec les nouvelles palettes qu’offrent les supports technologiques contemporains, de nouvelles partitions sonores sont apparues, reliant le passé au présent, l’intérieur à l’extérieur.

Il lui suffit de faire un pas dans le dortoir des convers pour que le visiteur se trouve immergé de chant d’oiseaux, de bruissement de feuillages, de grondement du tonnerre, du claquement de la pluie, des meuglements d’une vache… Autant de sons captés dans la nature environnant l’abbaye, méticuleusement recueillis par Fernand Deroussen. Cet audio-naturaliste a passé 40 ans à écouter et enregistrer la nature. D’un espace à un autre, l’écoute varie. Dans les cellules des moines, il s’agit de coller l’oreille aux murs pour tenter d’identifier les sons composés par Michel Risse. Dans l’église abbatiale, la mémoire liturgique et l'acoustique ont guidé les créations sonores, instrumentales et chantées, composées pour les Duos pour solistes.

 

La vue n’est pas oubliée. Celle qu’offrent à l’arrivée les bâtiments qui tiennent plutôt de l’humilité de la ferme, avant d’apercevoir les ouvertures dont les vitraux furent confiés en 1975 à l’artiste Jean-Pierre Raynaud, connu pour ses œuvres célébrant la grille, le carrelage, le lien avec la lumière. L’assemblée de hautes silhouettes noires, énigmatiques, que Christian Lapie a taillées dans le bois brut attire le regard, intrigue. Le végétal a lui été confié à la poésie et à l’imaginaire du paysagiste Gilles Clément. Des arbres de Judée encadrent l’entrée principale à l’ouest, tandis que des nénuphars flottent gracieusement sur un grand bassin carré qui introduit un parterre oriental qui se veut une référence aux perspectives du XVIIIe siècle, devant les façades classiques. La présence du bassin évoque le fossé creusé au XVe siècle pour protéger l’abbaye. Les jardins retracent eux-mêmes la longue histoire de Noirlac et il aura fallu dix ans à Gilles Clément pour la penser, la traduire en végétaux, la dessiner. L’esprit de l’abbaye est omniprésent, et l’est singulièrement dans le jardin du cloître où le paysagiste a voulu traduire la sensation que pouvaient avoir les moines en s’y rendant pour la promenade. Contrastant avec leur enfermement entre les pierres, le cloître représentait pour eux l’ouverture et la vision du ciel. C’est la symbolique de cette perception que l’on voit aujourd’hui dessinée au sol, autour du puits, en nuages de plantes aux fleurs s’épanouissant en variations de bleus. Une partition végétale qui a inspiré à Luc Martinez une composition musicale intitulée Reflets du ciel.

 

Entre prairie et bocage, résoNance est une visite à l’écoute de l’abbaye de Noirlac. 1h / Tout public, les après-midi. Du 7 avril au 15 décembre 2024.

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