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Varesi, le monde comme il va mal

par Jacques Moulins
Le commissaire Soneri revient et Parme soupire.
Le commissaire Soneri revient et Parme soupire.
Livre Roman Publié le 29/04/2024
Comme chaque année depuis 2016, les éditions Agullo publient un nouveau roman policier de Valerio Varesi. "La Stratégie du lézard" se déroule à nouveau dans la ville natale du commissaire Soneri. Parme, microcosme d’un monde qui se délite sous les yeux d’habitants, au mieux résignés, au pire intéressés.

Pour les touristes que nous sommes, Parme est une ville somptueuse. La « Petite Paris » comme on la surnomme depuis que Marie-Louise, l’épouse de Napoléon, a régné sur le Duché, ne manque pas d’attraits. Sa cathédrale Renaissance et le baptistère adjacent, son parc Ducale, l’église San Vitale, prodige baroque, sont des lieux d’exception, comme l’inoubliable Pilotta, palais des Farnèse, et son fascinant théâtre en bois. Déguster une crème glacée chez Gioelia dans la via Emilia assurera un voyage réussi. Mais c’est une tout autre face de la ville que dévoile Varesi. Avec la tendresse de celui qui y est attaché, mais sans les œillères de qui ne veut rien voir. Depuis Le Fleuve des brumes, son premier roman traduit en français, Varesi ne prend pas de gants avec les Parmesans. Moins sarcastique qu’a pu l’être Thomas Bernhard avec son Salzbourg natif, mais plus incisif. A la pusillanimité de sa bourgeoisie, il ajoute les complots qui se tissent dans la lâcheté ambiante. « Ces gens bien dans leur époque qui se mettent à pleurnicher dès que ça tourne au vinaigre ». Et, dans un roman noir, ça tourne forcément au vinaigre.

 

Parme en prend pour son grade. Le commissaire Soneri n’est tendre ni envers notre monde, « gâché et déprimant, insupportablement indifférent », ni face à sa foi en la technologie rédemptrice par qui, comme le dit son collègue Nanetti dans La Maison du commandant, « Le monde change tellement vite, c’est presque idiot d’avoir de la mémoire ». Un monde contemporain avec ses nombreuses combines qui, à défaut de le faire tenir debout, mettent ses citoyens à genoux. Parme en prend pour son grade. Honteuse d’un ancien scandale immobilier impliquant des fonctionnaires de la ville, elle se réfugie dans l’apparence qui se contente du faux par la grâce d’un peintre faussaire et sans illusion. Dès le début du roman, la ville « pue tellement le pourri que si jamais tu te bouches le nez, on te prend pour un puritain ».

Avec cet état d’esprit, pas étonnant que Soneri entretienne des rapports exécrables avec la hiérarchie qui cherche toujours à éviter les ennuis ou à se couvrir. Quelques magistrats respectueux de leur travail et d’eux-mêmes l’aident pourtant à poursuivre là où la questure abandonnerait volontiers. C’est le cas du juge Bergossi dans La Stratégie du lézard. Car, partant de plusieurs décès a priori sans lien, le commissaire va se trouver face à une ville gangrenée où les élus ne sont que de pâles complices, les entrepreneurs des exemples du capitalisme aussi effréné que sans scrupules, et la population une masse d’individus qui regardent ailleurs tant que leur confort n’est pas menacé.

 

Les humeurs de Soneri. On sait peu du passé de Soneri. La Pension de la via Saffi nous avait fait connaître sa première épouse et les malheurs qui les avaient frappés, son militantisme étudiant et ses quinze années passées à la police judiciaire de Milan. Depuis, Soneri ne quitte pas sa compagne, l’avocate Angela, complice en amour et en enquêtes. Une complice qui ne laisse rien passer et surtout pas les humeurs du commissaire et sa tendance à s’enfermer sur lui-même. Au point qu’il la soupçonne parfois d’être « jalouse du monde dans lequel il ne laissait entrer personne » (La Pension de la via Saffi). Il lui fait faux bond les soirs où elle l’attend, invente des prétextes, multiplie les ronchonnements. On la devine aussi extravertie que Soneri est introverti, et sans leur relation plus d’une énigme demeurerait irrésolue. L’ironie dont elle joue à son égard est « le meilleur des solvants pour dissoudre sa mauvaise humeur ». Et le commissaire n’en manque pas, l’âge avançant : « C’était ce qu’il redoutait le plus de cet entre deux âges : son propre monde qui se raréfie et qui se fane petit à petit, comme une fresque, jour après jour, absorbée par la chaux ».

Le roman n’est cependant pas une longue plainte. Soneri a des plaisirs, il roule en Alfa Romeo, fume des Toscano et apprécie la cuisine parmesane dans son restaurant préféré, le Milord. Et, surtout, Varesi manie l’humour et les répliques fracassantes qui sont autant de réflexions sur notre société.

 

L’ombre de la pieuvre. Dans ce neuvième opus traduit en français, le commissaire Soneri quitte peu les rues de Parme, à l’inverse des Ombres de Montelupo où il avait enquêté dans sa montagne natale des Appenins voisins. La rivière, toujours présente depuis Le Fleuve des brumes, sera cette fois parcourue le long de ses berges qui abritent un trafic inquiétant. Car la ville est de plus en plus la proie des mafias du sud qui viennent blanchir les fonds de la drogue dans la bonne réputation de la cité ducale, pourtant malade de ses richesses et d’un passé mal digéré, si ce n’est occulté. Les politiques y aident. Dans leur incapacité à sortir d’une gestion qui n’a d’autre but que d’assurer la conservation du pouvoir, ils ne détestent pas les pots de vin et s’acoquinent avec des forces obscures, Camora en tête, qui prennent le contrôle des marchés publics et finissent par dessiner une société pas vraiment enviable.

Le roman policier a cette faculté d’hypertrophier un des éléments de la création : l’intrigue. On ne vous la dévoilera pas : mais une suggestion. Parvenu à la fin du chapitre 23, fermez un moment le livre et entrez dans la peau du commissaire Soneri. Vous avez tout pour résoudre l’énigme et ce n’est pas un des moindres plaisirs qu’offre le roman policier.

La Stratégie du lézard, de Valerio Varesi. Éditions Agullo 2024, traduction de Florence Rigollet.

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