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Circulation(s) bulgare au Centquatre Paris

par Véronique Giraud
Emmanuelle Halkin, co-commissaire du festival Circulation(s). ©Thomas Halkin
Emmanuelle Halkin, co-commissaire du festival Circulation(s). ©Thomas Halkin
Arts visuels Photographie Publié le 24/03/2023
Cette année, le festival de la jeune photographie européenne Circulation(s) met en lumière la scène bulgare. Emmanuelle Halkin, l’une des neuf commissaires du collectif Fêtart organisateur de la manifestation, éclaire le travail des quatre artistes qui forment le focus d’un pays d’Europe méconnu.

La résilience, la reconstruction après un traumatisme, la violence familiale sont quelques-uns des sujets de réflexion des photographes sélectionnés par les neufs commissaires du comité artistique de Circulation(s). Les sciences occupent une grande part, la Méditerranée interroge beaucoup, à la fois sinistre réceptacle de migrants contemporains et bassin culturel dont la richesse lie les pays d’Europe. Réunissant 27 artistes de 14 nationalités, le festival fait battre le pouls de la jeune photographie européenne. Comme chaque année, un pays fera l’objet d’un focus. Après la Biélorussie, le Portugal, la Roumanie, l’Arménie l’an dernier, Circulation(s) tourne notre regard vers la Bulgarie. Le festival avait déjà exposé en 2015 Nikola Mihov (notre entretien vidéo). Revenu vivre à Sofia, où il a une galerie, Nikola a proposé au comité artistique une vingtaine d’artistes représentant la scène bulgare. Quatre d’entre eux ont été sélectionnés pour « essayer de faire ressortir ce qui est assez prégnant sur cette scène. La réflexion sur l’histoire, l’utilisation de l’archive, avec toujours l’idée que, dans ce pays à l’extrême Est de l’Europe, le passé communiste n’a pas été complètement digéré » explique Emmanuelle Halkin. Le travail très poétique de Mihail Novakov raconte l’hédonisme, la plage, la mer Noire, la jeunesse qui prend du bon temps. Un travail de mémoire entrepris pour essayer de comprendre une identité qui est toujours en construction. « Après la chute du Mur, après 40 ans de communisme, une période d’euphorie à la fois dingue et violente a marqué l’arrivée du libéralisme en Bulgarie. L’amusement, mais aussi les excès, la mafia, la richesse outrancière, la corruption. Par son histoire et sa géographie, la Bulgarie a mis beaucoup plus de temps que les autres pays européens de l’est à se trouver une nouvelle identité. »

Nikola Mihov est à l’origine de la série How to Forget Your Past Fast de Martin Atanasov. Ses photographies de tous les grands monuments communistes de Bulgarie, oubliés, délaissés, en perte de signification, réunies dans son livre Forget Your Past, lui a inspiré l’envie de demander à plusieurs artistes de réinterpréter, de s’emparer de son travail. Martin Atanasov a relevé le défi. En insérant sur les monuments communistes des photos de presse de cette époque, mafia, chanteurs populaires chalga, kitch… trouvées sur Internet. « C’est une sorte de réappropriation à la fois humoristique et historique d’un passé pas encore digéré » commente la commissaire.

Artiste visuel et collectionneur, Tihomir Stoyanov a constitué en dix ans un fonds photos vernaculaire composé de tirages, négatifs, diapositives, albums de familles, affiches, chinés sur les marchés aux puces. À partir de ce fonds, qu’il a appelé Imaginary Archive, il compose des projets. Celui exposé à Circulation(s), I give you my face portrait, raconte à sa manière la société bulgare par le biais de photos des années 20 au début des années 90 (période où apparaît la photo numérique). « Toutes évoquent une tradition, celle des jeunes qui, à la fin du lycée, s’offraient des petites photos d’identité au dos desquelles ils écrivaient des petits mots ». La photographie populaire raconte ainsi un pays, avec un parfum de nostalgie véhiculé par les petits mots parfois très touchants. Défile ainsi un pan de l’histoire de la photographie de portrait, avec l’évolution des poses, des styles vestimentaires.

Le travail de Hristina Tasheva entame une réflexion récente sur l’accueil des migrants, la manière dont on les a rejetés. « La Bulgarie, juste séparée de la Turquie par un fleuve, a fait partie de l’empire ottoman pendant quasiment cinq siècles avant de devenir indépendante à la fin du XIXe. Beaucoup de musulmans y ont été accueillis. Plus de 2 millions de Bulgares, sur 6,9 millions que compte la population, vivent en dehors de leur pays ». Beaucoup de jeunes et d’artistes ont quitté la Bulgarie. Certains sont depuis revenus y vivre, à l’instar de Martin Atanasov et Nikola Mihov, qui a longtemps vécu en France. « L’expérience de la migration est très forte. Hristina Tasheva, qui vit aux Pays-Bas, fut très étonnée de voir le gouvernement laisser des groupuscules, sortes de milices d’extrême-droite, faire le ménage dans les montagnes entre la Turquie et la Bulgarie pour repousser les migrants. » Elle est allée sur place, a rencontré des migrants et des habitants. Leur demandant ce qu’était pour eux être Bulgare, tentant de comprendre d’où venait la peur de l’autre, de la différence. « Sa réflexion se base sur l’ouvrage passionnant de Kapka Kassabova, Lisière ». L’autrice, qui a elle-même migré avec sa famille en Nouvelle-Zélande à la fin de la guerre froide, vit depuis 2005 en Écosse. Dans ce livre elle raconte comment on vit dans ces zones frontalières à la lisière de l’Europe et de l’Orient.

À travers les réflexions et les esthétiques de ces quatre jeunes artistes, la Bulgarie nous est plus familière. Ils sont à découvrir du 25 mars au 21 mai au Centquatre Paris.

 

 

Emmanuelle Halkin est codirectrice artistique et responsable du développement de The Anonymous Project. Elle est diplômée de l’École du Louvre. Elle est également éditrice et commissaire d’exposition indépendante. En 2014, elle a rejoint le comité artistique du festival Circulation(s) à Paris et elle est aussi la cofondatrice d’Inter Kultur Foto Art, un festival de photographie biannuel à Stuttgart, en Allemagne.

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