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Léa Troulard : Des indiens dans la forêt tchèque

par Julie Delem
Les membres d'Indian Corral se retrouvent tout au long de l'année, lors d'évènements ou de camps saisonniers autour de Prague. ©Léa Troulard
Les membres d'Indian Corral se retrouvent tout au long de l'année, lors d'évènements ou de camps saisonniers autour de Prague. ©Léa Troulard
Arts visuels Arts vidéo Publié le 11/03/2015
Léa Troulard veut bien l'avouer : réaliser un documentaire est un excellent prétexte pour vivre des expériences inédites. Pour son premier court-métrage, la réalisatrice, caméra à l'épaule, a passé huit mois avec les membres de l'organisation tchèque Indian Corral. Ces passionnés du "Indian hobby" jouent aux peaux-rouges toute l'année dans les forêts de Prague, avec grand sérieux.

Une jeune femme blonde fait sa toilette près de son tipi. Des enfants aux yeux bleus s'entrainent au tir à l'arc, tandis que les grandes sœurs baladent les plus petits à cheval. On pourrait prendre les indianistes pour une communauté farfelue, une mouvance hippie plantée quelque part entre un refus de la consommation industrielle et un problème non résolu de nostalgie de l'enfance. C'est ce qu'a beaucoup entendu Léa Troulard lorsqu'elle a questionné, la première fois, la présence de ces drôles de totems amérindiens disséminés dans la forêt, aux alentours de Prague. Après plusieurs mois d'enquête et de portes entrebâillées, la jeune Française en Erasmus découvre un mouvement de 300 personnes en République Tchèque, toutes passionnées par la culture amérindienne. Etudiante en école de cinéma, elle en fait un documentaire de 26 minutes, Indiani, présenté en janvier au Festival international de programmes audiovisuels (FIPA) 2015, dans la section Jeune Création.

 

Appropriation. Les premières heures, Léa pose des questions, demande à voir les albums photos, touche les costumes, les broches, les perles, les lances. Elle l'assure : les membres d'Indian Corral sont « très, très sérieux » dans la pratique de leur hobby. Plusieurs fois par an pour certains, toute l'année pour d'autres, ces Tchèques adoptent le mode de vie des Indiens d'Amérique du 18e siècle. Ils apprennent la langue Lakota, reproduisent à la perfection la danse et les chants Pow Wow, le jeu « du serpent » ou les techniques artisanales de confection de tipi. Ils refusent « l'eau de feu », chassent et cueillent pour se nourrir et célèbre la terre. « Ils ont un réel souci d'authenticité des traditions », raconte Léa Troulard. « Ils sont assez précis lorsqu'ils s'habillent pour ne pas mélanger des vêtements de Sioux avec ceux des Crows, des vêtements de 1875 avec ceux de 1825 ». L'envie de faire un film commence, sans les « tourner en dérision, ni sublimer le mouvement », mais pour dire : « Je trouve ça chouette d'être capable d'assumer la reproduction, comme ça, d'une culture qui n'est pas du tout la sienne, dans le but d'être le plus heureux possible. Après tout, pourquoi pas ? »

Pour mieux s'immerger, elle vit avec eux pendant deux mois, à l'automne 2012. Puis, pendant huit mois, elle revient avec une caméra et Marion Cros, ingénieur son, par périodes de 15 jours. Pendant les camps d'été, « je vivais comme eux, j'allais me laver à l'eau de la rivière gelée, je préparais à manger avec les femmes ». Les valeurs qu'ils véhiculent lui parlent : « la famille, le partage, la tolérance. Ce sont des valeurs assez belles, nobles. Ils ont laissé tomber le côté guerrier et violent. » 

 

Tramping. Difficile d'habiter dans un tipi en plein hiver. Lorsque les températures avoisinent les -20°C, certains s'en retournent dans leur maison. Le film suit la fonte des neiges et se focalise sur cinq personnages. Léa Troulard les choisit pour leurs différences dans la pratique du Hobby et esquisse « un portrait complet du mouvement ». On y retrouve la jeune Karolina, organisatrice du festival de danse Czech Pow Wow qui réunit chaque année 800 personnes, et son mari Milán, un ancien adepte du Tramping dans les années 80. Précurseurs du Indian hobby dans la région, les trampers sont de jeunes Tchèques et Slovaques, rebelles à la privation de liberté sous le régime communiste. Ils passent leurs week-end dans la nature et s'habillent en soldats américains avant d'adopter tous les attributs de l'ennemi officiel, du chapeau de cow-boy à la coiffe de plumes.

Léa Troulard s'arrête également sur Scott, pur WASP américain, obligé de s'exiler pour vivre sa passion pour la culture amérindienne et Tomás, restaurateur d'objets amérindiens vivant isolé, avec sa femme et ses enfants, dans une maison sans eau ni électricité. « On a tourné au feeling. J'ai commencé par prendre une petite caméra, puis une plus grosse. Ils ont fini par l'oublier. Je ne la prenais pas non plus tout le temps, parfois j'en avais marre, ou je sentais qu'ils avaient besoin d'un peu d'intimité ».

 

Coupe. Léa Troulard revient avec une centaine d'heures de rush. Le montage prend un an et demi. La première version, explicative, s'attarde sur l'origine du mouvement, sa philosophie ou encore l'artisanat traditionnel « qui prend une part très importante dans leur vie ». Léa bazarde tout pour un 26 minutes « plus immersif ». Les quatre dernières minutes à couper sont « très dures » : « C'est un peu dommage, mais il fallait que cela corresponde au format classique pour pouvoir le présenter à des festivals. J'avais 40 minutes. Il fallait soit que je monte à 52, soit que je descende à 26 ». Le projet, financé à posteriori sur KissKissBankBank, a de bonnes retombées : le festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand, le Festival du documentaire étudiant à Saint-Ouen, le Lauzanne underground film&music festival, plusieurs expositions. « Je suis contente, car j'avais envie que le film suscite de la curiosité et c'est plutôt réussi », se félicite Léa Troulard. Elle s'amuse des réactions du public : « cela touche tout le monde de manières différentes. Certains se marrent pendant toute la projection et sortent en disant « c'est quand même incroyable, ce genre de personnes ! »;  d'autres viennent me voir en me disant avoir eu une révélation. »

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