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Mot de passe oublié ?Bobar l’avoue en toute franchise, « je n’avais jamais réalisé une aussi grande fresque. Cela a été rendu possible grâce aux jeunes en insertion qui ont travaillé avec moi pendant près de 2 semaines ». Bobar est un street-artiste discret, pour ne pas dire secret, qui ne veut pas montrer son visage. Il a posé son atelier à Marseille il y a une dizaine d’années. Depuis, ses peintures ornent les murs de la Belle de Mai, son quartier d’adoption, mais aussi de Saint-Mauront et d’autres lieux de la ville qui ont en commun d’être restés des quartiers populaires, abritant une population souvent défavorisée…Inaugurée jeudi 8 décembre, la fresque qui illumine le mur de soutènement du lycée professionnel Le Chatelier sur le boulevard National dans le 3e arrondissement, mesure environ 300 mètres carrés. L’œuvre présente une succession de tableaux dédiés à diverses disciplines sportives, avec une prédominance pour le foot, et des lieux emblématiques de la cité phocéenne tels la Bonne mère, les calanques ou le Stade Vélodrome. Mais ce n’est ni la dimension de l’œuvre, ni son thème qui font événement. Ce qui retient plus particulièrement l’attention est que la réalisation de cette fresque constitue une étape importante dans le développement d’un projet d’art urbain initié en 1999 par un collectif d’artistes de rue, Méta 2.
Un projet artistique inclusif et collectif. Dès le début Méta 2 se présentait « comme un pôle de création en arts visuels, arts urbains et design, au service de projets artistiques inclusifs et collectifs faisant lien entre les habitants, les territoires et les artistes », rapporte la page de présentation du projet sur son site internet. L’artiste et sculpteur d’œuvres monumentales Malik Ben Messaoud en est le fondateur. L’homme a fait ses gammes artistiques auprès de Générik Vapeur, compagnie de théâtre de rue implantée dans la cité phocéenne, à Lieux Publics - le Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public. Il s’est aussi installé un temps à la Friche de la Belle de Mai, ce parcours se déroulant à un moment où les artistes réinvestissaient l’espace public en intégrant dans leurs spectacles de grosses machineries et des sculptures géantes. Malik est un enfant du quartier Bassens, une cité difficile du 15e arrondissement de Marseille. Sans doute cela explique-t-il en partie l’orientation sociale donnée à son travail qu’il ne concevait pas comme exclusivement artistique. C’est sans doute pour ça aussi qu'il avait choisi Saint-Mauront pour y installer Méta 2.
L’art pour faire du lien et de la cohésion. « Son idée était de rendre l’art accessible à tous, d’en faire un vecteur de lien et de cohésion sociale. Cette vocation est inscrite dans l’ADN de Méta 2 depuis l’origine » assure Aurélie Masset. Cette artiste a rejoint Malik en 2001, « nous avons partagé nos vies communes et professionnelles » aime-t-elle à dire. « Il y a une douzaine d’années nous avons commencé à travailler à des créations participatives dans l’espace public » confie celle qui dirige la structure associative depuis la disparition de Malik Ben Messaoud en 2015.
Puis vint l’idée du MauMA. Les premières réalisations avec des jeunes, des habitants, des usagers de l’espace public, ont commencé à embellir les murs, montrant au passage que ces derniers pouvaient apprendre des techniques mais aussi s’investir dans la vie de leur quartier. C’est à ce moment que commence à mûrir un nouveau projet porté par Méta 2, la création du Musée des arts urbains de MArseille, le MauMA. « Les Américains ont le Museun of Modern Art, le MoMA de New-York, nous, nous aurons le MauMA de Marseille. Un peu d’humour c’est bien aussi », s’amuse-t-elle. Lancé en 2020, le projet ambitionne de réaliser d’ici à 2026 une centaine d’œuvres constituant un parcours d’art urbain à ciel ouvert, accessible à pied et gratuit pour tous. Parmi les premières réalisations figure d’ailleurs une de ses fresques, Pissenlit, d’une hauteur de 40 mètres sur la Tour Felix Pyat, réalisée avec la participation de six jeunes du quartier habitant la Cité Bellevue.
Des quartiers oubliés de la rénovation urbaine. La première ambition est de cibler un territoire laissé pour compte, et ses habitants. Les quartiers concernés autour de la Belle de Mai et de Saint-Mauront sont les grands oubliés des périmètres de trois projets urbains majeurs pour la ville, qui les enferment dans ce qui s'apparente à un triangle. Il y a Euroméditerranée, une vaste opération de rénovation urbaine lancée en 1995 pour transformer les anciennes installations industrielles ou logistiques de l’arrière-port laissées en jachère en un quartier dédié au commerce, aux grands équipements culturels et aux affaires. Il y a aussi le Parc de Bougainville qui, à l’occasion du prolongement de la ligne 2 du métro, va conduire à un secteur dépourvu d’espaces verts à la création d’un jardin public de 4 hectares, puis d’une coulée verte avec une requalification des zones riveraines. Enfin il y a le projet de requalification de la gare Saint-Charles mise en souterrain d’ici à 2035 et qui aura aussi un impact sur l’urbanisme. C’est au milieu de tout ça que pousse le MauMA avec, à ce jour, huit œuvres dans les environs dont une reproduction de La Joconde signée Kan Dan Metal Vaporz, le portrait d’une militante Ouïghoure par Mahn Kloix…
Un projet artistique pour former des jeunes en insertion. « Après Pissenlit, pour lequel nous avions accompagné six jeunes en décrochage scolaire à travers le projet dénommé Passage, je me suis dit pourquoi ne pas aller plus loin ? Sur ce territoire il y a des besoins de main d’œuvre dans les entreprises, des besoins de travailler et d’être formé, notamment chez les jeunes. Notre projet artistique et culturel consiste aussi à faire le lien, à être le médiateur entre les deux. » Ainsi est née l’école du MauMA. L’inauguration de la fresque de Bobar ponctue la fin d'un stage de la première promotion qui aura duré six semaines. Durant les deux dernières, les seize jeunes ont travaillé sur ce chantier : huit directement sur la fresque, huit sur la communication autour du projet. Ils ont pu s’initier à des métiers du bâtiment pour les uns, peintre, monteur-démonteur d’échafaudage, cordier par exemple ; à la communication pour les autres, community manager ou journaliste reporter d’image. Des jeunes sortis du système éducatif, sans qualification pour la plupart, mais qui a l’issue de cette formation non diplômante n’en repartent pas moins avec une certification de mise en situation professionnelle. « Certains vont reprendre des formations, d’autres vont peut-être pouvoir trouver un emploi rapidement, d’autres seront encore accompagnés » assure Aurélie.
Community manager grâce à La Joconde. À 26 ans, Alyssia Marie-Louise fait partie du groupe formé à la communication. L’été dernier, la jeune femme avait travaillé pour Aremacs, une association s’occupant de la gestion des déchets sur les manifestations culturelles. Pendant les festivals, elle intervenait sur les réseaux sociaux de l’association mais, avoue-t-elle, « je n’avais pas forcément d’expérience dans ce secteur ». Cela ne l’a pas empêchée de développer une appétence pour ce travail. Habitant juste en face de la fresque de La Joconde, avenue Salengro, elle avait découvert le MauMA lors de l’exécution de l’œuvre. Quand elle a eu vent de l’appel à manifestation d’intérêt pour permettre à des jeunes de se former, elle a postulé sans hésiter. « Je voulais vérifier si c’était quelque chose qui me plaisait vraiment », explique-t-elle. Pendant la durée de son stage elle a travaillé sur les réseaux sociaux du MauMA pour donner de la visibilité au projet de Bobar, réalisant notamment des vidéos pour des réels postés sur Instagram, des stories. Alicia en est sortie enthousiasmée. Les partenaires de l’école lui ont permis d’accéder à l’Ouvre-Boîte, une structure des Apprentis d’Auteuil ayant pour vocation d’accompagner les apprentis vers l’entreprenariat. « Je commence mon stage la semaine prochaine », lâche-t-elle, avec en perspective une installation en tant qu’auto-entrepreneuse.
Venir à Marseille pour visiter le MauMA autant que les calanques. « Il est clair qu’une structure comme Méta 2 ne peut rester seule pour mener à bien un tel projet », souligne Aurélie Masset. Marseille Solutions s’est imposé en 2020 comme le point d’appui indispensable au développement global du MauMA. Cette association, dont l’ambition est de faire de Marseille « un tremplin de l’innovation sociale », « déploie, implante et accompagne des projets à impact social et environnemental sur les territoires marseillais », explique Camille Chapuis, co-directrice. A ce jour, l’association accompagne plus d’une cinquantaine de projets dans la ville. « Notre valeur ajoutée est de mettre en œuvre des acteurs vraiment différents autour d’un projet territorial. Plus nous avons d’acteurs différents autour d’un projet, plus chacun peut infuser dans son réseau et dans ses organisations », poursuit-elle. Pour elle, le projet doit servir à la fois le développement économique, l’insertion professionnelle et devenir un moyen pour les habitants de se réapproprier leur territoire. « Notre ambition est de donner une nouvelle attractivité à ces quartiers délaissés, parvenir à ce qu’on vienne à Marseille autant pour visiter le MauMA que les calanques ».
Des partenaires à trouver pour chaque projet. Vaste programme qui, comme le relève Aurélie Masset, « représente énormément de travail car pour chaque œuvre il faut trouver le bon montage et établir un modèle économique particulier ». Ce travail consiste à trouver avec Marseille Solutions les financements et les partenaires adéquats. Pour l’œuvre de Bobar, la partie formation a été financée par Pôle emploi, les frais liés à la réalisation de la fresque et à la rémunération de l’artiste par la Fondation Olympique de Marseille (d’où le thème sportif de la fresque) et par la Fondation SNCF impliquée sur le territoire. Il a fallu aussi sélectionner les jeunes pouvant accéder à la formation, d’où des partenariats avec les structures s’occupant de l’insertion. Mais à ce jour ni le projet global du MauMA, ni celui de l’école ne bénéficient d’un financement pérenne.
Plus que des œuvres, des projets. Accompagnant Méta 2, l’agence de développement économique de la Région Sud PACA risingSud a estimé à 3,8 millions d’euros le budget nécessaire au financement des 100 œuvres. « Mais ce ne sont pas 100 œuvres artistiques, ce sont 100 projets » insiste la directrice de Méta 2. « A chaque fois il y a des jeunes en insertion, des ateliers de médiation. Ça ne fait pas seulement intervenir des artistes sur les murs ». De fait, à chaque fois il faut tout reprendre à zéro pour le montage et le financement.
L'école du MauMA, ça marche ! Il n’empêche, le MauMA et l'école du MauMA suivent leur cours sans attendre d’avoir bouclé un budget global. « Nous avons lancé l’idée du projet il y a un an et demi, ce n’est pas énorme, ça prend tu temps de convaincre les collectivités, les financeurs publics et privés », se rassure Aurélie Masset. Mais Bobar, qui témoigne de l’accueil curieux et enthousiaste reçu dans le quartier, de nombreux retours positifs, de l’implication et du dynamisme des jeunes en formation, témoigne que l’ambition de Méta 2 n’était pas une utopie. Une deuxième promotion entrera en stage au mois de mars prochain, la session est financée et, ce qu’a montré la première c’est que ça marche.