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Mot de passe oublié ?Quel lien entre un journal de quartier parisien, et un agent d’illustrateurs qui en plus, édite leur travail sous forme de catalogues ou de monographies ? S’il y en a un, il est de chair et d’os et a connu un parcours atypique. Mais sous des airs de touche-à-tout, il fait preuve de cohérence dans son propos comme dans la conduite de ses activités. Ce trait d’union, c’est Michel Lagarde, fondateur des éditions du même nom, portées par la société Illustrissimo fondée en 1992 dans le Xe arrondissement de Paris.
Au début, un fan de BD En vérité, l’histoire débute bien plus tôt que ça, à Bordeaux d’où est originaire l’éditeur. En 1984, à 18 ans, tout juste le Bac en poche, il se lance dans l’édition de sérigraphies et de portfolios d’oeuvres de dessinateurs. « J’étais un fan de BD, je fréquentais assidûment le festival d’Angoulême et connaissais de nombreux auteurs. Tout est parti de là », raconte-t-il. L’expérience bordelaise durera le temps de publier quelques ouvrages, dont un portfolio décisif en 1986, L’invitation aux voyages avec des sérigraphies de 8 auteurs de bande dessinée : Cabanes, Juillard, Loisel, Pellerin, Yslaire.... chacun s’inspirant d’un pays différent. Mais ça durera aussi le temps de boire la tasse quand son distributeur met les clefs sous la porte sans lui régler le produit de ses ventes, le laissant seul et sans le sous en 1988.
Le dessin une idée fixe Mais sans doute en fallait-il un peu plus pour avoir raison de son opiniâtreté. « Pour le dessin, je n’ai pas la main, mais j’ai vraiment l’œil et chez moi, c’est une idée fixe », assure-t-il. Il se relance alors en tant qu’agent avec Illustrissimo en 1989 à Bordeaux, avant de s’installer à Paris 3 ans plus tard et de constituer sa structure en SARL. S’affirmant comme une agence d’illustrateurs, Illustrissimo va prendre une place croissante sur la place parisienne. Depuis Bordeaux, Michel Lagarde avait placé ses illustrateurs pour la réalisation de quelques campagnes, pour la mâche nantaise, pour des domaines du bordelais… Mais confie-t-il, « c’est à Paris que ça a vraiment démarré. Dès le début, en un mois je faisais le chiffre d’affaires que je réalisais en un an dans ma région. » Euro RSCG, Publicis… les plus grosses agences de communication de l’époque font appel aux illustrateurs de l’agent Lagarde.
Dénicheur de jeunes talents Car en tant qu’agent, Michel Lagarde se voit d’abord comme un dénicheur de jeunes talents, innovants. « Les illustrateurs, je vais les chercher aux arts déco et dans d’autres écoles, certains m’envoient leurs dessins », et c’est comme ça qu’il fait son marché, avec son œil expert. L’idée, comme dans le milieu de la mode, est toujours d’avoir un temps d’avance, de sentir quelle sera la tendance de demain. Ces tendances, elles s’affirment aussi à travers trois marques, Illustrissimo, Agent 002 et Lézilus, chacune possédant sa propre identité, sa propre ligne éditoriale et graphique. Tous les deux ans, les éditions Lagarde éditent un catalogue destiné à leurs clients, présentant le travail des illustrateurs des trois marques.
Recruter ceux qui feront tendance demain Cette manière de travailler, est pour lui un facteur de longévité. « Quand vous lancez une tendance, si ça fonctionne, elle est tout de suite reprise et devient dominante. Vous savez alors que vous avez devant vous 3 ou 4 ans pour vous remettre en question, créer de nouveaux concepts. Mon travail est d’anticiper, de savoir recruter les illustrateurs qui feront la mode demain ». Ses têtes d’affiche aujourd’hui ont pour nom Blexbolex, Monsieur Z, Aline Zalko, et bien d’autres encore.
L’atmosphère d’un quartier Illustrissimo dont le siège est un mélange de studio de graphistes et de galerie d’art, a relancé le métier d’éditeur de livres des éditions Lagarde en 2006. Elle a aussi ouvert une seconde galerie, à deux rues de la première, le 13 octobre 2016, d’où son nom tombant sous le sens XIII-X… Elle accueille actuellement le best-of des artistes de l’agence.
Entre la Porte et le canal Saint-Martin Mais le plus curieux dans ce cheminement, c’est la création il y a 3 ans de Village Saint-Martin, un guide de ce quartier du Xe arrondissement de Paris coincé entre le canal Saint-Martin et la Porte du même nom. Un quartier qui bouge, touché par un phénomène de gentrification, tout en conservant un caractère très populaire. Illustrateurs et rédacteurs travaillent ensemble à la réalisation de ce guide de 160 pages réalisé pour l’édition 2018-2019 par Séverine Assous, Antony Huchette et Charlotte Molas, tous trois exposés à la galerie Artazart. L’ouvrage est fait d’une cinquantaine de bonnes adresses, avec des coups de cœurs, des lieux et des histoires à découvrir, des promenades dans ce quartier où, depuis le pont qui fait face à l’hôtel du Nord, résonne encore « Atmosphère ! Atmosphère ! », la célèbre réplique d’Arlety à Louis Jouvet. Tiré à 4000 exemplaires, l’ouvrage est acheté par souscription par les commerçants du quartier et revendu au prix public de 6 euros.
Le journal du village Saint-Martin Et puis, début 2018, c’est la naissance de Le journal du village Saint-Martin, un trimestriel de 32 pages, gratuit, augmenté d’un supplément inséré de 8 pages et d’un tiré à part de 8 pages également. C’est le tiré à part qui assure une bonne part du financement, le premier était consacré à l’affichiste Savignac, le second au caviste Nicolas, le suivant à la Fondation Louis Vuitton. Des thèmes issus de travaux, d’expositions, réalisés pour ces marques par Illustrissimo. Et puis il y a les annonceurs, les commerçants du quartier surtout, qui assurent les 20% manquant au bouclage du budget alors que les gros donneurs d’ordre parmi lesquels on trouve aussi Le bon coin, Oxbow, ont déjà assuré le restant.
L’entregent ne suffit pas « En tant qu’agent, je suis en contact avec des gens à tous les niveaux, des décisionnaires. C’est le résultat de 25 ans de travail et c’est pour ça que je peux publier ce journal maintenant ». Mais l’entregent ne fait pas tout. Même pour un gratuit, la réaction du lectorat compte. Dès leur sortie, leur installation dans les bistrots, les commerces et autres lieux publics, les 8 000 exemplaires sont vites épuisés. A tel point que Michel Lagarde envisage aujourd’hui d’augmenter le tirage du journal et qu’il se tient déjà prêt à répondre à des demandes de duplication de son modèle sur d’autres quartiers parisiens. Et puis, pour être complet, « mon activité d’éditeur d’images redémarrera en septembre 2018 sous le label des collections du Treize-dix », ajoute-t-il jamais à court d'idées, toujours ce faux air de touche-à-tout.