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Le temps et l’histoire me recouvrent, Ana Mendieta au Jeu de Paume

par Véronique Giraud
Creek 1974, Ana Mendieta Film Super-8.© The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Creek 1974, Ana Mendieta Film Super-8.© The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Burial Pyramid 1974, Ana Mendieta Film super-8. © The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Burial Pyramid 1974, Ana Mendieta Film super-8. © The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Energy Charge 1975, Ana Mendieta Film 16 mm.© The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Energy Charge 1975, Ana Mendieta Film 16 mm.© The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Sweating Blood 1973, Ana Mendieta Film super-8. © The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Sweating Blood 1973, Ana Mendieta Film super-8. © The Estate of Ana Mendieta Collection, LLC. Courtesy Galerie Lelong & Co.
Arts visuels Arts vidéo Publié le 01/11/2018
Les cimaises du Jeu de Paume s'animent de l'œuvre filmée de l'artiste cubaine Ana Mandieta jusqu'au 27 janvier 2019. Ces vidéos, auxquelles s'apposent plusieurs photographies, retracent en silence le cheminement esthétique de celle qui mit en scène son propre corps, rendant visibles les liens de mémoire et de réconciliation qu'offre la nature.

Avec Ana Mendieta, l’expression « faire corps » prend tout son sens. L’artiste cubaine a développé une pratique tellement liée à sa vie et si avant-gardiste qu’aujourd’hui encore elle peut être difficile à sonder. Mais l’exposition que lui consacre le Jeu de Paume, avec le concours de Howard Oransky son curateur, présente vingt des cent quatre films qu’elle a réalisés entre 1971 et 1981 et qui éclairent une œuvre d'une sincérité touchante. Dans cette forme filmée, sans doute le moins connu de sa création,  transparaissent les valeurs qui interrogent notre essence et rendent visible une énergie qui nous lie à la nature.

 

Exilée de Cuba. Pour mieux pénétrer la démarche d’Ana Mendieta, il est nécessaire de rappeler quelques éléments de sa courte biographie. Née à La Havane en 1948, elle a douze ans quand s’achève la révolution cubaine. Elle est alors envoyée aux États-Unis, dans le cadre de l’opération Peter Pan, faisant partie des quelque 14 000 enfants que les organisations catholiques cubaines, en accord avec le gouvernement américain et la CIA, ont évacués à Miami en raison de l’opposition de leurs parents au gouvernement castriste. Aux États-Unis, Ana Mandieta sort de l’université de l’Iowa diplômée d’un Master d’arts plastiques et de l’Intermedia Program, un cursus transdisciplinaire d’avant-garde créé en 1967. Elle s’installe à New-York en 1978 et rejoint l’A.I.R. Gallery, première galerie gérée par un collectif de femmes artistes aux Etats-Unis. Son travail a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux Prix de Rome américain, décerné par l’American Academy in Rome en 1983. Son œuvre est présent dans les collections permanentes d’une centaine de musées d’art à travers le monde.

 

L’expression artistique, très personnelle, d’Ana Mendieta s’affranchit des limites, religieuses, géographiques, sociales, politiques. Elle interroge ouvertement l’histoire, le sexe, la culture, en empruntant de nombreuses pratiques artistiques – dessins, installations, performances, photographies, sculptures. « Mon art est fondé sur les accumulations primordiales, les pulsions inconscientes qui animent le monde, non pas pour tenter de réparer le passé, mais plutôt pour se confronter au vide, au fait d’être sans parents, à la terre non baptisée des origines, au temps qui nous regarde depuis l’intérieur de la terre » écrit-elle. Cette phrase résume tout à la fois ses manques et la richesse de son rapport au monde. On est tenté d’y déceler la clé d’un processus créatif à la fois singulier et universel.

 

Faire corps. La vingtaine de films noir et blanc que présente Le temps et l’histoire me recouvrent au Jeu de Paume couvre l’ensemble des notions et concepts qu’explore l’artiste. Avec son corps, où l’idée de corps. Silencieuses pour la plupart, ces œuvres filmées, dont certaines ont été restaurées ou sont vues pour la première fois, redonnent curieusement vie à Ana Mendieta. Dans l’un des premiers films, la caméra fixe un tas rocheux, quelques pierres grisent se mettent ostensiblement à bouger avant qu’émerge très lentement un visage, un bras, la poitrine, les jambes d’Ana Mendieta. Dans un autre, l’obscurité laisse percevoir une silhouette qui s’avance vers un arbre, au fond du plan, puis se fond avec le tronc immense. Soudain, à ce même endroit, une silhouette rouge, incandescente, se dessine et éclaire la nuit. « Faire corps avec l’arbre, devenir une sorte d’arbre de vie » commente une phrase de l’artiste. Dans un autre encore, on la voit le corps nu à demi immergé dans l’eau d’une rivière ou d’un torrent, immobile, le visage tourné vers le fond. « Je communique avec la déesse de l’eau douce », peut-on lire sur le cartel de Creek (n°22), San Felipe Creek, Oaxaca, Mexique, juillet 1974. Dans les années 70, Ana Mendieta se rend presque chaque été au Mexique. Deux de ses films ont été réalisés dans les sites archéologiques de Yàgul en 1974.

 

Tout est mystère, même sa mort. Ces films, tout à la fois documentation et performance, sont autant d’expériences intimes entreprises pour se fondre dans la nature comme dans une mémoire. La séparation forcée d’avec son pays, d’avec sa famille, a sans doute primé dans l’expression du lent écoulement du temps, du besoin de fusionner son corps avec la matière naturelle. Le déracinement, la recherche d’identité, la naissance, la résurrection et la mort, la violence sexiste, le rite, la transformation inspirent tour à tour ces œuvres.

Tout est mystère autour d’Ana Mandieta, même sa mort en 1985 causée par une défenestration depuis son appartement de New-York. Il est question d’une violente dispute avec son mari qui aurait précédé sa chute. Rien n’est prouvé, mais de nombreux admirateurs de l’artiste, persuadés de la responsabilité du mari, viennent depuis à chaque date anniversaire de son décès verser un liquide rouge sous la fenêtre. Dans quatre de ses films réalisés entre 1972 et 1975, Ana Mandieta utilise le sang comme medium artistique. « J’ai commencé à utiliser du sang car je trouve que c’est une chose très puissante, magique. Je ne considère pas le sang comme une force négative », a-t-elle dit en évoquant ces œuvres.

 

Ana Mendieta, Le temps et l'histoire me recouvrent, du 16 octobre 2018 au 27 janvier 2019 au Jeu de Paume, Concorde, Paris.

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