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Mot de passe oublié ?Trois institutions nationales proposent au même moment une exposition sur le thème de l’immigration qui est au cœur du débat politique, faut-il s’en étonner ?
On peut surtout se réjouir de voir que les musées participent au débat citoyen. Pour le Musée de l’Homme c’est un projet de longue haleine. En 2018 le Muséum National d‘Histoire Naturelle, dont on dépend, avait publié un manifeste autour des migrations. Dans le contexte actuel on a souhaité développer une exposition centrée sur les migrations humaines puisqu’on est le Musée de l’Homme. On l’a préparée pendant trois ans et on voit que ça repositionne les musées, le nôtre en particulier, sur des sujets qui agitent aujourd’hui non seulement la classe politique mais toute la société, et c’est là que c’est important. En tant que musée nous sommes là pour participer à ce débat en donnant un point de vue un peu différent. On a travaillé avec plusieurs scientifiques, de manière pluridisciplinaire, dans des champs d’expertise très différents. C’est leurs compétences scientifiques qui ont permis de construire le propos de notre exposition. Convoquer toutes ces disciplines pour en faire une exposition permet de débattre du sujet avec d’autres points de vue, d’autres arguments et c’est important que l’on se positionne sur ces sujets-là.
En quoi leur participation a-t-elle été constitutive de cette exposition ?
On a voulu vraiment donner des faits scientifiques pour recontextualiser les phénomènes migratoires. On passe par des exemples très concrets pour incarner les choses mais pour aussi les remettre en contexte sur le temps long à l’échelle de la planète, on n’est pas que franco-français. Finalement c’est ça qui va structurer l’expo. A partir de faits scientifiques on déploie un discours pour mieux comprendre où on en est aujourd’hui.
L’écueil à éviter, en partant de données scientifiques, n’était-il pas d’avoir une exposition difficile d’accès ?
Oui et c’est la raison pour laquelle on a tenu chaque fois à incarner le propos avec des contenus très différents. On a de l’audiovisuel avec des artistes, des témoignages de personnes qui sont en situation de migration, des documents historiques, des pièces des collections du musée, des œuvres d’art. A travers la sensibilité des artistes on peut aussi raconter quelque chose de ces phénomènes aujourd’hui, ou de la résonance de phénomènes migratoires passés sur notre monde contemporain. A travers tout ce qu’on présente, documents papiers, vidéos, photo, art contemporain, témoignages… on incarne ce propos et ces données scientifiques, non pas pour faire un cours sur l’immigration mais pour raconter ce qui se passe aujourd’hui autour de ces phénomènes.
Comment s’articule le travail artistique avec le travail scientifique, s’agissant d’approches différentes ?
Différentes mais complémentaires. C’est ça qui nous intéressait, avoir une diversité de regards. Tout au long du parcours on alterne tout ça, on n’a pas dédié une partie autour de l’art contemporain, et une autre autour des faits scientifiques. Les œuvres viennent appuyer les données scientifiques qu’on présenter Par exemple, dans l’introduction de l’exposition, on commence par tous les préjugés autour des mots des migrations, notamment l’idée d’envahissement, de submersion, avec cette idée du migrant, homme jeune, souvent noir, venu d’un pays du Sud, non diplômé, pauvre, qui vient en Europe. En contre-point on a mis une photo de Christina De Middel où l’on voit une femme de dos, une migrante avec une couverture de survie sur les épaules qui flotte au vent comme une cape de super-héroïne. Ça montre bien que l’on peut faire dire un peu ce qu’on veut aux images et que l’interprétation peut varier. On n’est pas là pour asséner au visiteur des vérités toutes faites mais pour lui transmettre des données afin qu’il puisse ensuite se faire une idée par lui-même.
Votre intention était aussi de déconstruire certaines choses, à commencer par les préjugés, n’est-ce pas un parti pris ?
Les préjugés se construisent sur des choses fausses comme cette image qu’on a des migrants. Aujourd’hui on sait que 48% sont des migrants sont des migrantes, les femmes sont quasiment aussi nombreuses que les hommes. On a 4% de la population mondiale qui migre, ce chiffre est stable depuis des dizaines d’années. Ça, ce sont des données, pas de l’interprétation. Après on laisse la parole à des artistes ou à des personnes en situation de migration qui vont raconter leur propre histoire. Mais là on passe dans le domaine de l’intime et c’est présenté comme tel, on ne se substitue pas à la parole de ces personnes.
L’expo a ouvert ses portes fin novembre, comment réagit le public ?
Le public est là, il est intéressé. Les retours que nous avons des visiteurs montrent qu’ils comprennent bien le positionnement de l’exposition. Nous avons mis en place un parcours jeunes visiteurs pour les élèves et nous accueillons beaucoup de scolaires des collèges et des lycées. Souvent les scolaires sont assez passifs quand ils viennent aux expos, là on les sent très contents d’être présents car cette expo constitue un magnifique support de débats entre eux. On les sent très motivés, étant vraiment partie prenante de la visite.