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Avec Quartett, Jacques Vincey redonne goût aux jeux libertins

par Véronique Giraud
Hélène Alexandridis, magnifique et perfide marquise de Merteuil de Quartett, dans la mise en scène de Jacques Vincey ©Raynaud de Lage
Hélène Alexandridis, magnifique et perfide marquise de Merteuil de Quartett, dans la mise en scène de Jacques Vincey ©Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 28/09/2023
Adapter une pièce de théâtre c’est parler d’aujourd’hui. Jacques Vincey choisit le raffinement et la cruauté des échanges érotiques entre deux libertins du XVIIIe, la marquise de Merteuil et le comte de Valmont, inventés par Choderlos de Laclos. Dans sa version courte, réécrite par Heiner Müller en 1982, Quartett résonne d’une intensité jubilatoire et diabolique, jusqu’à semer le trouble dans le genre.

Les liaisons amoureuses peuvent être dangereuses, Choderlos de Laclos (1741 – 1803) l’a merveilleusement écrit. Son roman épistolaire, Les liaisons dangereuses (1782), l’a rendu célèbre tout en créant le scandale. Étonnamment, les évocations sulfureuses, libertines, la cruauté diabolique qui sous-tendent les échanges entre les deux anciens amants que sont la marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont n’ont rien perdu de leur vigueur. Et la version réécrite par le dramaturge est-allemand Heiner Müller, Quartett, en démultiplie les effets sulfureux tout en extirpant un jeu théâtral conçu pour seulement deux comédiens. En remplaçant ainsi la prodigieuse joute épistolaire entre Merteuil et Valmont, Heiner Müller met en présence les deux protagonistes pour les contraindre à une joute oratoire, tout en préservant les sommets dans l’art du libertinage.

 

Un brûlant huis-clos. C’est cette version que nous donne à voir Jacques Vincey au CDN de Tours, pour son ultime création en tant que directeur, avec sur scène, Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey. Dès les premiers moments du spectacle, alors que la salle vient de plonger dans l’obscurité, le rideau translucide reste fermé, laissant deviner la présence de la marquise dont on n’entend que la voix. Et la magie opère. Envoûtante, précise, séductrice, sensuelle, cette voix porte, mieux encore que ne pourrait faire un corps, la charge évocatrice de la montée du plaisir et de l’abandon. La silhouette se dessine plus précisément, s’approche au plus près du rideau et, l’ouvrant brusquement, apparaît en s’exclamant d’un sourire victorieux : « J’ai bien joué, non ? »

S’ensuit une autre magie de mise en scène, celle, périlleuse, de l’équilibre des mots, de la distance et du rapprochement entre les deux anciens amants. Car le portrait des mœurs d’une société dépeint par Laclos est devenu, sous la plume de Müller, un brûlant huis clos qui se concentre sur la violence, évocatrice et verbale, de la relation entre les deux sexes, les disparités des registres de séduction, et les stratégies de domination. Mais quand Merteuil parle au nom de Valmont, apparaît un grand trouble dans le genre. La marquise s’empare avec aisance de toutes les stratégies masculines, les décrit avec force détails, et du même coup devient la pièce maîtresse du jeu. Dans ce rôle, Hélène Alexandridis excelle et nous ensorcelle. La dame prend le pouvoir sur le vicomte déchu.

 

Les mots plus que les corps. Jacques Vincey a fait le choix d’associer le jeu des acteurs à celui de gigantesques drapés. Visages poudrés, revêtus des habits en cours au XVIIIe siècle, coiffés de perruques, les deux comédiens se déplacent avec grâce sur un sol meuble recouvert lui aussi de tissus. Tels des personnages venus de temps révolutionnaires, Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey se délectent de cette langue acérée aux habiles circonvolutions. Peu de regards échangés, les corps sont distanciés, les corps se frôlent à peine pour évoquer une sensualité passée.

Le lien entre ces deux amants ne tient plus que par leurs propos lancés tels des coups d’épée. Si l’habit nous ramène à une période dominée dans les hautes sphères par une sophistication du paraître, la parole recèle une crudité que peu d’auteurs ont atteint. La violence du verbe, enrobée de contours policés et courtois, atteint des sommets de cynisme.

Enrobée de contours policés et courtois, la violence du verbe atteint des sommets et c'est elle que Jacques Vincey emporte avec lui pour tracer un nouveau sillon de création après neuf années passées à diriger le CDN de Tours.

 

Quartett, texte de Heiner Müller (d'après Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos), mis en scène par Jacques Vincey. Avec Hélène Alexandridis et Stanislas Nordey. Création le 26 septembre au théâtre Olympia CDN de Tours, et jusqu'au 7 octobre. 

En tournée : 12 octobre Équinoxe – Scène nationale de Châteauroux / 17 octobre Le Gallia Théâtre – Saintes / 22 février La Halle aux Grains – Scène nationale de Blois / du 5 au 8 mars Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine / 12 avril MA scène nationale – Pays de Montbéliard / 16 et 17 avril Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace / Du 14 au 16 mai La maison de la culture de Bourges – Scène nationale.

 

 

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