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Avignon : Séverine Chavrier donne forme et chair à l’écriture de Faulkner

par Véronique Giraud
ABSALON ABSALON, inspiré librement de William Faulkner, mise en scène Séverine Chavrier © Christophe Raynaud de Lage
ABSALON ABSALON, inspiré librement de William Faulkner, mise en scène Séverine Chavrier © Christophe Raynaud de Lage
Sur scène, la voiture est à la fois signe de modernité et lieu intime de confessions libres © Christophe Raynaud de Lage
Sur scène, la voiture est à la fois signe de modernité et lieu intime de confessions libres © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 01/07/2024
Il faut un motif puissant pour que Séverine Chavrier se projette dans la création théâtrale. En adaptant librement « Absalon, Absalon » de William Faulkner, l’ingénieuse metteure en scène montre une fois encore que, en faisant collaborer des comédiens pressentis, le génie littéraire peut faire théâtre et sa complexité susciter des ressorts contemporains.

Confronter le théâtre à l’écriture de William Faulkner est une entreprise ambitieuse. Si elle narre la vie des gens du Sud de l’Amérique, leurs rapports à l’esclavage et à l’exploitation agricole, cette écriture vient de l’intérieur, n’a d’étalon que sa propre conscience, s’étaye de répétitions pour multiplier les points de vue, s’aventure dans l’inexplicable. Faulkner, au long de ses différents romans, a créé un monde, le comté de Yoknapatawpha où trois familles s’ignorent, s’envient, s’accouplent et s’entretuent sur fond d’esclavagisme, d’argent et de sexe. Tout commence avec Sanctuaire et la Guerre de Sécession et se continue jusqu’à l’après-guerre. Mais on est loin d’une saga. Dans les romans de Faulkner, le lecteur entre lentement, devant d’abord saisir les codes de ce monde disparu, reconnaître les lieux, comprendre un langage particulier fait de longues phrases tournant parfois sur elles-mêmes à la recherche d’un second sens.

 

De ce matériau puissant et complexe, proche de l’analyse, Séverine Chabrier a extirpé une extraordinaire énergie et des images saisissantes. Si bien des détails de situations, les personnages, leurs liens font écho au roman, la metteure en scène parvient à s’en émanciper pour créer un univers théâtral faulknérien.

Dans la noirceur de la nuit, Sutpen arrive de nulle part. Impatient de s’installer tout près du petit bourg du Mississipi, Jérôme de Falloise, qui l’incarne, encourage de son ton de bateleur de foire la construction de sa maison qu’on voit s’élever peu à peu. Un immense « Sutpen Hundred » surmonte bientôt la bâtisse, l’histoire peut commencer. Elle va couvrir une longue période de l’histoire du Sud de l’Amérique, de 1833 à 1920, que traverse une guerre civile nommée Holocauste par Faulkner dans ses romans. Les meurtrissures de ce conflit fratricide rejoignent celles de l’esclavagisme, de la cruauté du colon, de la soumission silencieuse destinée à la femme, des méandres sinueux de la mémoire. Les souvenirs prennent vie, les générations cohabitent, les apartés éclairent le passé, les phrases ne s’achèvent pas toujours, l’inexplicable tient son rôle. Tous les moments donnent lieu à des scènes qui volent en éclats, la musique prend sa part avec Simon d'Anselme de Puisaye qui improvise et joue en retrait ou se retrouve mêlé aux scènes. Incarnations, projections, musique, manipulation des éléments du décor déplacés au gré de l’histoire, caméras captant de part et d’autre du plateau ne faisant rien perdre de ce qui se joue. Tout fait sens, et c’est la force de cette mise en scène dont la profondeur et l’ubiquité servent la complexité du roman.

 

Sur l’immense écran de la façade de la maison du planteur, les scènes projetées, captées en live ou déjà montées, quand elles sont accompagnées de musiques, rappellent le scénariste Faulkner fasciné par le cinéma de Hollywood auquel il donnera cinq films co-écrits et réalisés par Howard Hawks. On respire l’atmosphère d’une époque révolue, marquée par une littérature et un cinéma d’une grande popularité. Livres et films ont évoqué la terreur de la guerre civile, le retard social et la violence du Sud, entre esclavagisme et consanguinité. Leurs effets habitent intimement le jeu des comédiens, entre espoir et regrets, colère et désespoir.

Il en ressort des problématiques, des stéréotypes qui, s’ils ont évolué, montrent l’origine de la violence inhérente à la société nord-américaine d’aujourd’hui et au rapport très distant avec l’état de droit qui se perd souvent dans les chemins boisés de Yoknapatawpha.

 

ABSALON ABSALON Texte William Faulkner. Traduction et relecture Francois Pitavy, René-Noel Raimbault. Adaptation et mise en scène Séverine Chavrier. Dramaturgie et assistanat à la mise en scène Marie Fortuit,Marion Platevoet, Baudouin Woehl. Scénographie et accessoires Louise Sari. Lumière Germain Fourvel. Musique Armel Malonga. Son Severine Chavrier, Simon d'Anselme de Puisaye. Vidéo Quentin Vigier. Cadre vidéo Claire Willemann. Costumes Clément Vachelard. Conseil dramaturgique Noémi Michel. Éducation des oiseaux Tristan Plot.
Avec : Pierre Artieres-Glissant, Daphne Biiga Nwanak, Jérôme de Falloise, Victoire du Bois, Alban Guyon, Jimy Lapert, Armel Malonga, Annie Mercier, Hendrickx Ntela, Laurent Papot, Kevin Bah "Ordinateur" et la participation de Maric Barbereau, Remo Longo (en alternance).

 

En tournée : du 17 au 29 janvier à la Comédie de Genève. Les 5 et 6 février aux Théâtres de la Ville de Luxembourg. Les 13 et 14 février au Théâtre de Liège.
Du 25 mars au 11 avril à l'Odéon - Théâtre de l'Europe, Paris. Les 23 et 24 avril au CDN Orléans.

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