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Avignon : « La distance » qui sépare les générations

par Pierre Magnetto
La distance, un dispositif scénique tourbillonnant. © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
La distance, un dispositif scénique tourbillonnant. © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Arts vivants Théâtre Publié le 18/07/2025
Dans ce conte dystopique et bouleversant, sur fond d’effondrement climatique et de colonisation de Mars, servi par Amada Diop et Alison Deschamps, Tiago Rodrigues interroge les liens et la difficulté de communiquer entre un père et une fille, mais aussi l’écart qui se creuse entre générations quand la première a échoué à sauver le monde.

2077, l’humanité survit plutôt mal que bien sur une Terre dévastée par quatre effondrements climatiques. Une poignée de jeunes individus, issus de l’oligarchie du numérique ou sélectionnés au mérite, est partie habiter sur Mars. Ali (Adama Diop), médecin resté sur la planète bleue calcinée, essaye de maintenir le lien avec Amina (Alison Deschamps), sa fille, installée sur Mars pour donner une nouvelle chance à l’humanité. Ce point de départ qui, en d’autres circonstances, relèverait de la science-fiction apparait d’un angoissant réalisme dès lors qu’on le confronte à ce que l’on sait déjà de l’impact du réchauffement climatique, de l’emprise des nouvelles technologies, du déni débridé des climatosceptiques au pouvoir conduisant le monde droit dans le mur et des visées sur la planète rouge de l’homme le plus riche du monde.

 

Un nouveau monde à la Huxley mais l’essentiel n’est pas là. Certes, le nouveau monde qui se dessine tel que le décrit Amina semble tout droit sorti de l’univers d’Aldous Huxley. Les jeunes pionniers, dit « les oubliants », sont soumis à un programme qui leur fera perdre toute mémoire de l’ancien monde et de leurs proches. C’est par une loterie que sont désignés les couples élus pour « la reproduction » de l’espèce humaine. Mais l’essentiel de ce conte à la fois dystopique et philosophique, écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues, n’est pas là. Il est dans la relation d’un père avec sa fille, l’un et l’autre prenant conscience que bientôt ils ne pourront même plus se parler. Ces quelques jours durant lesquels ils peuvent encore communiquer par messages audios longue distance c’est leur moment de vérité, la dernière chance de se dire tout ce qui ne l’a pas été de leurs peurs, de leur amour, de leurs espérances. Amina dresse le constat qu’il leur est plus facile de se parler à 225 millions de kilomètres de distance que quand ils vivaient sur la même planète. L’essentiel est aussi dans ce que dit le texte des rapports entre les générations. Quand Amina se montre fière d’avoir été tirée au sort pour avoir un enfant, Ali s’insurge au nom du combat des femmes pour la liberté de leur corps et pour l’égalité. Puis, alors que la Terre est dévastée, il y a cette tirade d’Amina : « vous vouliez changer le monde, nous voulons changer de monde ». L’écart est assumé.

 

Comme la course des planètes dans l’univers. Le dispositif scénique met face à face les deux mondes. Sur le plateau circulaire deux structures, l’une faite d’arbres morts couchés sur le sol, l’autre d’un rocher rouge. De part et d’autre se tiennent Ali et Amina dont les messages longue distance créent un dialogue épistolaire d’autant plus émouvant qu’il est servi par une interprétation juste et intense, entre un père aimant bouleversé par l’exil de sa fille et cette dernière qui semble parfois fragile, mais toujours déterminée. Le plateau tourne, parfois de plus en plus vite, comme la course des planètes dans l’univers, comme le temps qui passe et qui éloigne inexorablement ces deux êtres, comme le tourbillon de la vie. Dans son dernier échange, Amina répond au message de son père par un émouvant « pardon, qui êtes-vous ? » : le programme des « oubliants » est achevé. Alors Ali lit une lettre à sa fille, sachant qu’elle ne recevra jamais le message, dans laquelle il lui redit tout son amour, toute sa fierté pour sa détermination, toute la confiance qu’il place en elle. Sa génération s’efface sans avoir su sauver la planète du désastre, le monde appartient à celle qui vient.

 

La distance, texte et mise en scène Tiago Rodrigues, création Festival d’Avignon 2025. Avec Alison Deschamps et Adama Diop, jusqu’au 26 juillet, L’autre scène du Grand Avignon à Vedène.

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