espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > Avignon : Serebrennikov met « Les idiots » sur un plateau

Avignon : Serebrennikov met « Les idiots » sur un plateau

par Véronique Giraud
"Les idiots" de Kyrill Serebrennikov © Christophe Raynaud de Lage
Les acteurs des idiots de Kyrill Serebrennikov sont filmés sur scène © Christophe Raynaud de Lage
Les acteurs des idiots de Kyrill Serebrennikov sont filmés sur scène © Christophe Raynaud de Lage
Les idiots Kyrill Serebrennikov © Christophe Raynaud de Lage
Les idiots Kyrill Serebrennikov © Christophe Raynaud de Lage
Les idiots de Kyrill Serebrennikov © Christophe Raynaud de Lage
Les idiots de Kyrill Serebrennikov © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 16/07/2015
Du Danemark à la Russie, de Von Trier à Serebrennikov, du cinéma au théâtre, Les idiots suscitent la même envie de jouer et de se jouer, cette fois avec les cruautés de la société. Mais sans clés.

Le spectateur est prévenu par un affichage digital qui anime la scène vide de la cour du lycée Saint-Joseph à Avignon. La pièce qu’il est venu voir affiche sa référence à la charte du Dogme95 que les Danois Lars von Trier et Thomas Viterberg ont imaginée dans le but de renouveler la création cinématographique (pas de décors ni d’accessoires ajoutés, musique en direct, ni effet de lumière ni éclairage artificiels, etc.). Cette référence au 7ème art, ce refus de l’artifice, le moscovite Kyrill Serebrennikov les a mis à l’actif du jeu théâtral, les fait coller à sa propre esthétique. Coller au point d’adapter le premier film auquel fut appliqué ce « vœu de chasteté », L’idiot de von Trier, qui met en scène la simulation de l’idiotie avec l’idée qu’on peut réveiller l’idiot intérieur qui sommeille en chacun de nous et atteindre l’innocence. Un film dérangeant qui créa la polémique à sa sortie en 1999. La polémique, le trouble, la provocation, sont aussi les moteurs du jeune metteur en scène russe. Il a créé Les idiots en 2012 au Gogol Centre de Moscou, alors qu'il venait d'en prendre la direction. Il présente la pièce en France au Festival d’Avignon.

 

Jeu trouble. Pour son adaptation théâtrale, Kyrill Serebrennikov applique un processus scénographique conforme au Dogme95, des projecteurs, un décor bougé en live, des bandes de scotch posées au sol par les acteurs, une musique jouée en direct. De chaque côté de la scène, deux écrans vidéo créent un focus sur l’action jouée. A l’évidence « l’idiot qui est en nous » anime les comédiens. Pour ajouter au trouble, ils peuvent redevenir à tout moment et sans crier gare « normaux ». Tout est mouvant. Fonctionnant par saynettes, la pièce débute par un procès, d’autres suivront, émaillés de petites histoires comme celle d'un comédien dans un fauteuil roulant implorant deux ouvriers au labeur de l’aider à uriner. Les hommes tentent de l’ignorer, puis l’un d’entre eux, entre compassion et gène, l’aide à ouvrir sa braguette et à se soulager. Quand le pseudo handicapé se lève et se rajuste, l’effarement se lit sur les deux visages. Flouer, être floué, les frontières sont sans cesse revisitées par un jeu trépidant d'acteurs magnifiques qui savent rejoindre la fragilité de l'enfance, mais la rouerie n’est jamais loin. Là où le film de von Trier explorait les tréfonds de l’âme, la pièce dissèque crûment les discordances de la société. Celle de la Russie d'aujourd'hui sans doute. Mais il nous manque des clés. L’innocence et la ruse, la cruauté et la compassion, la corruption et l’honnêteté fusent, les rôles sont parfois inversés, aucune figure ne s’affirme, chacun subit et fait subir. L’un devient l’autre. Seule la justice tient le même rôle. Inquiétant.

Le tableau final surprend, invitant sur scène des trisomiques en tutu, trois garçons et une fille, à se joindre aux comédiens. En décalage complet avec l’aisance toute professionnelle de la troupe, bien loin des « idiots », ce sont eux qui emportent le mot de la fin. Dans leur silence étrange. Dérangeant.

 

Les idiots d'après Lars von Trier - Mise en scène et costumes : Kyrill Serebrennikov - Texte et dramaturgie : Valery Pecheikin Production Gogol Center (Moscou) - Première en France les 6, 8, 9, 10 et 11 juillet - Cour du lycée Saint Joseph, Avignon.

 

Partager sur
Fermer