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Mot de passe oublié ?Camille Claudel (1864-1943), Frida Kahlo (1907-1954), Virginia Woolf (1882-1941) personnifient jusqu’à aujourd’hui les affres de l’artiste femme. Pas étonnant qu’elles aient toutes trois inspiré les réalisateurs de cinéma. Leurs sculptures, peintures, romans ont pris leur puissance de cette audace à vivre tous les possibles dans un monde qui confinait la femme. Ceux que condamnent la morale religieuse, qu’aurait pu décourager un fatal accident, que l’humiliation masculine aurait pu enfermer. Non, Camille Claudel (Clara Rousselin) se s’est ni interdit d’aimer son maître d’art ni d’accoucher de sa puissance créatrice hors normes. Non, Frida Kahlo (Monica Mojica) n’a pas laissé s’étouffer ses sens dans la douleur de son corps. Non, Virginia Woolf (Jessica Hinds) n’a pas éteint son moi brûlant. C’est de la fièvre de la première, de l’animalité de l’autre, de l’implacable résolution de la troisième que l’artiste franco-colombienne Monica Mojica a fait le matériau de la pièce qu’elle a écrite, conçue et mise en scène.
Sensualité, assurance, virilité. Aux images répandues de trois personnalités damnées, empêchées, s’oppose l’affirmation du plaisir : ici une sensualité à croquer des figues juteuses, là une assurance à fumer des cigarettes interdites, ailleurs une virilité à boire de l’alcool. Autant de choses « mal vues » pour la femme à leur époque.
Les arabesques de leurs bras, leurs corps à corps doux et enfantins, leurs jeux, leurs mots, leurs rires, leurs souvenirs, se confrontent à ce que journalistes, écrivains, cinéastes, proches, ont livré d’elles. À l’écoute de ces archives sonores, l’ironie glisse sur chacun des visages. Parfois, un micro est placé devant elles, invitant à l’écoute attentive de leurs mots, qui font entendre leur français, leur espagnol ou leur anglais, ou l’accent propre à chacune. Et à l’observation de leur corps un temps immobile. La poésie en mouvement des gestes et des corps entraine l’esprit du spectateur, les images projetées le mènent à son inconscient, les sons emplissent l’espace d’un réel perceptible… Autant de choses non dites qui disent autrement ces trois femmes.
Son, vidéo, accessoires. Dans cet univers sonore et visuel, les trois comédiennes, chacune magnifique, incarnent avec une gracieuse mobilité la rencontre de ces trois individualités. L’image vidéo, qui occupe entièrement le fond de la scène, n’illustre pas le propos. Conçue par l’artiste plasticien vidéaste Patrick Laffont, elle est en soi une esthétique supplémentaire, fiction de leurs corps et de leurs perceptions les plus intimes.
Empreints d’une élégante justesse, les costumes, qu’a signé la designer Sylvia Sànchez Montoya, la musique et les sons d’Alejandro Gomez Upegui, les trois chaises blanches, la table qu’elles font tournoyer en accompagnant celle qui délivre ses mots, et sur laquelle elles se rassemblent, se mesurent, se contemplent et dialoguent, tous les éléments participent d’une œuvre totale.
ClaudelKahloWoolf de Monica Mojica. Avec Monica Mojica, Clara Rousselin, Jessica Hinds. Création au festival Off 2018, du 6 au 27 juillet, Artéphile, 7 rue du Bourg neuf Avignon.