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Mot de passe oublié ?Alanguies, paresseusement allongées sur une montagne de tissus, le coude appuyé sur un coussin, ou nues dans un bain turc, les odalisques d’Ingres, de Delacroix, de Matisse, et d’autres avant eux, renvoient une image fantasmée du harem. L’odalisque, esclave des femmes du harem dans l’empire ottoman, incarne à elle seule un monde fantasmé par les peintres orientalistes et, par ricochet, par la société occidentale.
Alanguies, paresseusement allongées sur un divan, le coude appuyé sur un coussin, ou nues dans un bain turc, les odalisques d’Ingres, de Delacroix, de Matisse, renvoient à l’Occident une image fantasmée du harem. L’odalisque, esclave des femmes du harem dans l’empire ottoman, incarne une sensualité volée.
Née en 1940 dans un harem, la sociologue marocaine Fatema Mernissi a passé sa vie à sonder la place de la femme dans la société. Elle a grand ouvert toutes les portes du harem, ce lieu interdit ou sacré qui vient de l’arabe haram (l’interdit), pour faire connaître ses pratiques, qui font société, ses imaginaires singuliers, et pour rendre hommage à la force de ces femmes, dont sa mère qui est parvenue à ce qu’elle quitte le harem pour faire des études. Fatema Mernissi a mis à profit sa liberté pour donner vie et âme à toutes celles soumises à l’enfermement et l’oppression. Dans une langue à la fois ouverte et prudente, Fatema Mernissi exprime les circonstances qui ont entouré une telle création en Orient, les interprétations que l’Occident en a faites, et analyse la puissance symbolique d'un mécanisme qui menace encore aujourd’hui la femme. Amal Ayouch et Sanae Assif, comédiennes du Maroc, ont voulu donner à ces recherches, à cette langue de combattante, la résonance de la scène théâtrale.
Changer le monde. Tour à tour, les comédiennes restituent les souvenirs et les pensées de l’auteure de Le harem politique et Le harem et l’Occident. Souriantes et fières, elles éloignent le paradis sensuel des tableaux orientalistes pour pénétrer dans l'histoire, intime et collective. La mémoire de Fatema Mernissi retentit : « Je suis née en 1940 dans un harem à Fès, ville marocaine du IXe siècle, située à 5 000 km à l’ouest de La Mecque, et à 1 000 km au sud de Madrid, l’une des capitales des féroces chrétiens ». (incipit de son best-seller Rêves de femmes, une enfance au harem (Albin Michel/Le Fennec, 1994). Ses premiers souvenirs transportent dans la grande maison familiale dont la cour carrée et carrelée de motifs géométriques sert d’horizon. En levant les yeux, chacune voit un ciel carré, encadré par les décorations de la toiture. Les frontières sont très tôt expérimentées. Omniprésentes et invisibles, architecturées et sacrées, les frontières deviennent un matériau mental et social, un marqueur définitif. Passé le seuil, les histoires et les contes transmis, comme celui de la Shéhérazade des Mille et une Nuits, introduisent dans les esprits l'intelligence et la force féminine. Les rêves racontés par les femmes et les concubines qui vivent dans ce lieu clos invitent un personnage ailé, capable de voler et de parcourir les espaces inconnus autour et au-delà du harem. L’imaginaire du voyage occupe tout l’espace. Sa mère, qui rêve de liberté pour sa fille, lui dit, alors que plusieurs femmes se sont blessées en tentant de s’évader, qu’elle doit « penser s’envoler en intégrant dans son désir de changer le monde un plan d’atterrissage ».
Qu’est-ce qu’un harem ? Pourquoi et comment l'a-t-on inventé ? Ces questions hantent la sociologue depuis son enfance. L’enfermement de la femme dans la maison d’hommes polygames au nom de l’interdit sacré et d'une soi-disant protection marque à jamais les corps et leur esprit. Le harem se transporte avec elles, et concrétise l'expression de puissance de l’homme sur la femme, l'inégalité des sexes, la séparation d’avec les hommes. Ce spectacle le rappelle avec l'intelligence et la méthodologie d'une sociologue dont l'engagement généreux est à saluer, et le talent de deux magnifiques conteuses.
Fatema Mernissi / Harems. Mise en scène : Anne Laure Liégeois. Interprète(s) : Amal Ayouch, Sanae Assif. Création lumière : Guillaume Tesson. Jusqu’au 24 juillet à 13h, La Manufacture - Relâche le 19 juillet.